Une mouette

Matériau Tchekhov : un théâtre à s’approprier

Tout artiste de théâtre pourrait faire sienne l’annonce de Treplev, archétype de l’écrivain dans La Mouette : « La vue s’ouvre directement sur le lac et l’horizon. On lèvera le rideau à huit heures et demie précises, quand la lune surgira. » Depuis 1944, année de la première représentation d’une œuvre de Tchekhov à la Comédie-Française avec L’Ours, farce en un acte qui entrera au Répertoire en 1957, les quinze mises en scène de ses pièces témoignent du fertilisant théâtre tchekhovien, ses descriptions d’une réalité parfois désenchantée et toujours complexe semblant abolir les frontières temporelles et culturelles.

Le répertoire de la Comédie-Française ne demande qu’à être questionné régulièrement, inlassablement. Certains textes exercent un pouvoir d’attraction inextinguible. Contre toute attente, ce ne sont pas les célèbres drames de Tchekhov qui sont d’abord joués mais une comédie (L’Ours) et une étude dramatique (Le Chant du cygne en 1945). Montées en diptyque en 2016, ces deux pièces en un acte s’éclairent mutuellement. Pour Oncle Vania, première « grande » pièce de Tchekhov à entrer au Répertoire en 1961, Jacques Mauclair privilégie la vision de l’auteur au détriment de celle de Stanislavski, plus larmoyante. La couleur locale est estompée, comme dans la nouvelle présentation par Julie Deliquet en 2016 (Vania). La metteuse en scène poursuit le travail de Tchekhov sur le jeu des comédiennes et des comédiens qui est également au cœur de sa propre démarche artistique, laissant la part belle à l’improvisation lors des répétitions. Jean-Paul Roussillon puis Alain Françonre montent tous deux aux origines des mises en scène des Trois sœurs. Le premier prend, en 1979, le contrepied de la vision mélancolique de Pitoëff en ancrant dans la réalité cette comédie effleurée par la cruauté, tandis que le second revient, en 2010, à la création par le Théâtre d’art de Moscou en étudiant le cahier de régie de Stanislavski. Alain Françon, intime connaisseur du théâtre de Tchekhov qu’il compare à celui de Vinaver, avait précédemment monté La Cerisaie en 1998 dont Clément Hervieu-Léger offre en 2021 une nouvelle version, imprégnée de ses propres souvenirs.

Les autres pièces de Tchekhov montées une seule fois au Français témoignent de la diversité des sensibilités et appropriations par leurs metteurs en scène. Combinant la première version d’Ivanov, qualifiée de « comédie » à la seconde, dite « drame », Claude Régy en propose ainsi, en 1984, une troisième, entremêlant des éléments de comédie dans le drame. La recette de Jacques Lassalle pour Platonov en 2003 consiste, à l’inverse, à ajouter des silences et des suggestions qui n’étaient pas des ingrédients initiaux afin « d’introduire dans cette œuvre de jeunesse un peu de l’écrivain de la maturité ». L’appropriation de Sur la grand route, essai dramatique en un acte, est naturelle pour Guillaume Gallienne qui, en 2007, insère des extraits de La Demande en mariage, tout en s’inspirant de ses propres traditions familiales.

Si La Mouette n’a été présentée qu’une fois à la Comédie-Française en 1980, Otomar Krejca en était à sa cinquième mise en scène de cette comédie. Au terme de cette profonde assimilation, il dépouille La Mouette de ses clichés. La version originale de la pièce (1895) est montée par Coraly Zahonero en 2021 dans le format d’un Théâtre à la table diffusé au sein de la programmation numérique.

En 2025, ce n’est pas La Mouette mais Une mouette d’après Tchekhov qui suspendra son vol afin d’arrêter le temps, et de se poser au sein de la Troupe pour se nourrir de son art comme, celle-ci aussi, aime puiser régulièrement dans le répertoire de son auteur, sa formidable matière à jouer.

Florence Thomas
Archiviste-documentaliste à la Comédie-Française

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