« Britannicus » de Jean Racine. Mise en scène Stéphane Braunschweig. Du 8 octobre au 1er janvier 2019, Salle Richelieu.
« Ma tragédie n’est pas moins la disgrâce d’Agrippine que la mort de Britannicus. » Ainsi Racine définit-il sa pièce dans sa préface. Si Racine choisit de l’intituler du nom d’un personnage secondaire, c’ est que le public de son époque s’émeut plus pour les figures attendrissantes, dont Britannicus est l’archétype. À la création, c’est le sort du jeune héros – interprété par Brécourt – qui « touche », et le public regrette que son acteur favori, Floridor, soit obligé d’interpréter l’exécrable Néron, de peur de lui vouloir du mal. Agrippine est jouée par la D’Ennebaut, qui assure les rôles de Reines depuis la mort de la Du Parc, créatrice d’Andromaque. Racine ne semble pas avoir la même affinité avec elle qu’avec la Champmeslé qui, à partir de Bérénice, interprétera tous les grands protagonistes féminins de son théâtre.
En 1757, à la faveur de l’interprétation de Lekain, le public s’intéresse davantage au personnage de Néron. Il joue face à Mlle Dumesnil, Agrippine tragique et pathétique, tour à tour majestueuse et violente, de ses débuts en 1737 à sa retraite en 1778. L’actrice semble l’avoir interprétée, selon son tempérament, en reine impétueuse. Les jeux de scène qui font habituellement son succès – yeux égarés, sanglots dans la voix, gestes désordonnés – culminent le jour où, s’ oubliant, elle va jusqu’à frapper l’ épaule de Néron au 4e acte, mouvement déplacé qui provoque une forte réaction de son partenaire Lekain.
À l’opposé de cette vision, Clairon, sa rivale, joue pour la première fois sans éclat de voix et sans fougue excessive, lors d’une tournée à Bordeaux en 1752.
Néanmoins, l’interprétation de la Dumesnil semble s’ être perpétuée après son départ, quand Mlle Raucourt s’empare du rôle. Comme son aînée, elle le joue presque sans partage jusqu’à sa mort en 1815, aux côtés de Lekain, La Rive, Saint-Prix, puis de Talma. La critique lui reproche un manque de subtilité et de demi-mesure : « Elle a le malheur de ne pas connaître le milieu entre la froideur et les cris » (Geoffroy, 1802).
Au XIXe siècle, l’interprétation d’Agrippine devient un enjeu au sein de la troupe féminine. Si Talma domine le rôle de Néron, Mlles George et Duchesnois se disputent l’honneur d’incarner sa mère. La première l’emporte ; les témoignages décrivent un jeu sec, une diction brève, une simplicité emprunte d’autorité. À la mort de Talma en 1826, plusieurs acteurs alternent dans le rôle de Néron mais le talent de Mlle Paradol qui succède à Mlle George ne tient pas ses promesses ; la tragédie est en berne. Il faut attendre l’arrivée dans la Troupe de Rachel pour renouveler un genre qui semble passé de mode pour le public enthousiasmé par le drame romantique. Agrippine n’est cependant pas dans son emploi, et bien que celle-ci réclame le rôle en 1848 – voulant démontrer que tout le répertoire classique est à sa portée – après une unique représentation, elle ne renouvelle pas l’expérience. Il faudra ensuite attendre Mme Segond-Weber, à partir de 1908, pour retrouver une Agrippine de premier plan : l’actrice revient aux sources historiques latines pour éclairer son interprétation.
Les premières tentatives de « mises en scène » permettent aux acteurs de se mettre au service d’une dramaturgie plus collective, comme en 1872 avec Mounet-Sully (Néron), Mlle Plessy (Agrippine) et Sarah Bernhardt (Junie). Mme Segond-Weber renoue avec une interprétation davantage conçue comme un travail de soliste. Mais sa retraite laisse place à des artistes qui jouent, jusqu’à aujourd’hui, sur l’équilibre des rapports de force : Marie Ventura et Jean Yonnel en Néron à partir de 1938, Marie Bell et Jean Marais (1952), Annie Ducaux et Robert Hirsch (1961), Denise Gence et Jean-Luc Boutté (1978), Françoise Seigner et Richard Fontana (1989), Dominique Constanza et Alexandre Pavloff (2004). Pour la mise en scène de Stéphane Braunschweig en 2016, à côté de Laurent Stocker en Néron, c’est Dominique Blanc qui entre dans la Troupe pour interpréter une nouvelle Agrippine.
Agathe Sanjuan, conservatrice-archiviste de la Comédie-Française, octobre 2018
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