« L'Avare » de Molière Mise en scène Lilo Baur Du 1er avril au 24 juillet 2022, Salle Richelieu.
« Molière avait fait l’avarice dans Harpagon ; moi j’ai fait un avare avec le père Grandet », écrit Balzac dans ses Lettres à l’étrangère. Or, si Harpagon est devenu la personnification de l’avarice au cœur sec, l’un des sept péchés capitaux, rien ne laissait présager sa création de la pérennité de cette figure emblématique reprise y compris au cinéma dans La Folie des grandeurs.
L’Avare, inspirée de L’Aulularia de Plaute mettant en scène un vieillard mesquin et suspicieux, est créée le 9 septembre 1668 au Théâtre du Palais-Royal, huit mois après le succès d’Amphitryon, pièce à machines.
Ses démêlés avec ses créanciers au moment de L’Illustre Théâtre ont certainement inspiré Molière. Depuis Le Misanthrope (1666), le chef de troupe n’a plus donné de grande comédie en cinq actes mais L’Avare n’attire pas pour autant les spectateurs. Après trois recettes consécutives inférieures à 300 livres, la pièce est retirée à l’issue de la neuvième représentation.
Deux mois plus tard, après la création de George Dandin qui est aussi un échec, Molière reprend L’Avare en l’associant à une petite comédie inconnue intitulée Le Fin Lourdaud. Les recettes de ces onze représentations sont moyennes. Pourtant, le gazetier Robinet note qu’au printemps 1669, lors des fêtes à Saint-Germain-en-Laye, « les royaux spectateurs » avaient ri « sans épargne » aussi bien à George Dandin qu’à « l’excellent Avare / Que ceux de l’esprit le plus bizarre / Ont rencontré fort à leur goût / Du commencement jusqu’au bout » .
L’échec initial de cette pièce, qui deviendra l’une des plus célèbres de Molière, a soulevé de nombreuses interrogations.
Peut-être le public assistait-il sans enthousiasme aux nouvelles pièces de Molière en attendant la création du Tartuffe, après la représentation triomphale du 5 août 1667 ? La pièce est en effet susceptible d’être jouée à nouveau à l’issue des négociations en cours pour « la Paix de l’Église ». Novateur par une écriture en prose que Molière expérimente après l’avoir tentée dans ses récentes comédies-ballets et qui déconcerte le public, L’Avare pouvait également dérouter par une résolution de l’intrigue peu conventionnelle. De plus, lorsque Harpagon prend le public à témoin du vol de sa cassette, la rupture de l’illusion scénique confère à ce quatrième acte une intensité inédite. Le sujet, lui, devait être familier aux spectateurs. Depuis l’Antiquité, l’avarice, définie comme l’obsession maladive d’accumuler des biens est perçue comme une passion corruptrice. Pourtant, s’il est de bon ton de mépriser l’argent ̶ thème omniprésent dans l’œuvre de Molière mais longtemps occulté par la littérature critique ̶ , « un honnête homme » se doit d’être « libéral », « magnifique » et de dépenser sans compter . Si cette ambivalence est dénoncée au XVII e siècle, le propos de la pièce n’est pas obsolète pour Marc Fumaroli, pour qui le sujet, plus actuel que jamais, n’est pas celui des excès de l’argent mais de « la folie de la consommation infinie » .
Après l’échec à sa création, L’Avare prend sa revanche au XVIIIe siècle en occupant la septième place parmi les dix pièces (sept sont de Molière) les plus jouées à la Comédie-Française.
À partir de 1760, le répertoire accueille de nouvelles pièces, réduisant ainsi la part du lion que se taillait la « trinité » du XVIIe siècle : Racine, Corneille et Molière. Seul ce dernier domine le répertoire aux côtés de Voltaire. Avec les trois autres « grandes » comédies en cinq actes (Le Tartuffe, Le Misanthrope, L'École des femmes) qui résistent mieux que les petites pièces, L’Avare est joué sans interruption et en première partie. Pendant la Révolution, Molière continue à intéresser le public.
Au XIXe siècle, comme les autres pièces de Molière, L’Avare est joué plus souvent. Les représentations, plus nombreuses qu’au siècle précédent, se succèdent chaque année, à l’exception de 1826 et 1827.
Alors que, dans l’alternance, la durée des reprises est raccourcie à partir du milieu du XXe siècle, au profit de nouvelles mises en scène moins « pérennes », celle de Jean-Paul Roussillon fait figure d’exception. La longévité de cette mise en scène, de 1969 à 1989, est en grande partie redevable à la fidélité du comédien : fait exceptionnel au XXe siècle, Michel Aumont interprète Harpagon 297 fois (en alternance avec Georges Chamarat et Michel Etcheverry), détrônant ainsi Denis D’Inès qui l’avait joué 288 fois sous la direction de Jean Meyer (1949). En effet, les administrateurs successifs, aux sensibilités artistiques très différentes, ont programmé régulièrement la pièce depuis la commande de Maurice Escande pour la rentrée de 1969 : Pierre Dux, Jacques Toja, Jean-Pierre Vincent (impressionné par ses souvenirs de 1969) et Antoine Vitez qui conserve le projet de reprise de Jean Le Poulain. Les mises en scène suivantes (2000 et 2009) correspondent davantage à la destinée des spectacles contemporains dont le graphique décrit l’intensité : davantage de représentations dans une temporalité restreinte et une succession plus rapide des créations. Elle est aujourd’hui la deuxième pièce la plus jouée de Molière après Le Tartuffe.
L’interprétation de Molière dans le rôle d’Harpagon n’est pas connue précisément mais, vêtu d’un « manteau, chausses et pourpoint de satin noir garnis de dentelle de soie noire » , son talent comique opère. « D’un bout à l’autre, il fait rire », selon Robinet. Après sa mort, Rosimond et Brecourt se partagent le rôle, suivi au XVIII e siècle, par Guérin (1700), Duchemin (1717), Des Essarts et Bonneval. Leur interprétation recourt à des mimiques parfois outrées et à de multiples jeux de scène.
À la fin du XVIIIe siècle, Grandmesnil, immortalisé dans un tableau de Jean-Baptiste Desoria, exprime, à travers son regard et ses gestes (il se saisit la main), la déraison d’Harpagon, nuançant le jeu traditionnel en l’éloignant de la farce.
Le texte subit également des modifications : jusqu’au milieu du XXe siècle, les deux premières scènes sont souvent coupées. Dès lors que L’Avare est considéré comme « une comédie de caractère » (Georges Forestier), les deux longs dialogues accompagnant l’attente de l’arrivée du rôle-titre, sont supprimés.
Au XIXe siècle, Guiaud, Provost et Talbot le jouent jusqu’à la prise de rôle par Leloir en 1880.
vLe style sinistre, halluciné et effrayant marque un nouveau jalon avant d’être pris à contre-pied par Coquelin cadet en 1893. Sa vision d’Harpagon comme « un agité, en proie à une idée fixe : un amour hystérique de l’or qui le fait courir comme un dératé à la cassette » , jeu comiquement servi par sa diction et sa gestuelle, l’éloigne des partis-pris dramatiques.
Dès lors, les interprétations alternent entre un ton comique et un plus grave, voire tragique, à l’image de la pièce dans laquelle les conflits violents se règlent dans une atmosphère comique.
Le nombre des représentations croît à partir de 1949 : Jean Meyer monte L’Avare avec Denis D’Inès dans le rôle-titre, inaugurant ainsi une longue série de mises en scène de pièces moliéresques dans un style classique et soigné.
La prise de rôle par Michel Aumont marque la mise en scène de Jacques Mauclair en 1962 mais le comédien ne partage pas le parti-pris de cette mise en scène trop légère à son goût.
Aussi, lorsque Jean-Paul Roussillon lui confie également le rôle pour sa première mise en scène de Molière en 1969, Michel Aumont exprime sa vision du personnage : « Nous sommes tombés d’accord sur le fait qu’il n’était pas nécessaire de trop grimer le personnage, mais j’ai quand même essayé de le composer par la démarche et par la voix, peut-être de manière trop volontariste au départ. Au fil des ans et des reprises, cependant, je pense que mon jeu a évolué vers plus de simplicité » . Les multiples changements de distribution diversifient les possibilités de jeu et au fil des représentations, de 1969 à 1989, le spectacle se patine : « Alors qu’on était au début très balzaciens, très noirs (la réception a été d’ailleurs plutôt dure), au fil du temps et du travail, on a de plus en plus accepté de faire rire » commente l’acteur. Avec les mises en scène de L’Avare, hors Comédie-Française, signées Charles Dullin (1940) et Jean Vilar (1952), ce spectacle demeure une référence.
Pour un « retour aux pièces domestiques du Molière le plus classique » et à leur filiation latine et italienne, Jean-Pierre Miquel programme, après Le Misanthrope, L’Avare. En 2000, l‘administrateur demande à Andrei Serban, metteur en scène d’origine roumaine « plus familier de Shakespeare et des tragiques grecs, même s’il a montré souvent à l’Opéra que le comique ne lui est pas indifférent », de poser un nouveau regard sur la pièce avec Gérard Giroudon en un vert et allègre Harpagon, dévorant ses écus, l’un après l’autre…
Lorsque Muriel Mayette-Holtz propose en 2009 à Catherine Hiegel de monter soit L’Avare, soit Le Bourgeois gentilhomme, le choix n’est pas aisé pour la sociétaire qui a déjà mis en scène Le Misanthrope, Les Femmes savantes et George Dandin. La disponibilité de la distribution pèse dans son choix. Loin du « vieillard balzacien et souffreteux qu'on nous a si souvent infligé », Catherine Hiegel voit « l'avare comme un diable noir, un Arlequin sombre, un insecte […] C'est un monstre, mais un monstre de farce. Il fallait l'acteur pour jouer cela ». C’était Denis Podalydès, jusqu’en 2013.
Florence Thomas
Archiviste-documentaliste à la Comédie-Française
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