À l’approche de la création de Je reviens de loin, Françoise Gillard évoque la richesse de l’écriture de Claudine Galea et la finesse avec laquelle Sandrine Nicolas met en scène ce texte d’une émotion rare, comme dans un écrin aux reflets multiples qui ouvrent grand l’imaginaire. Elle forme avec Pierre Louis-Calixte, Adrien Simion et Léa Lopez un quatuor à découvrir en ouverture de saison au Studio-Théâtre.
Je reviens de loin de Claudine Galea, mise en scène de Sandrine Nicolas est présenté au Studio-Théâtre du 21 septembre au 29 octobre
Françoise Gillard. Je pense qu’un rôle conduit à un autre dans une continuité logique, sans que je cherche préalablement à les incarner. Mais, certainement parce que cela me touche en tant que femme, je ressens beaucoup de plaisir à aller au cœur du féminin, vers des vies en marge des stéréotypes sociétaux, avec des figures qui prennent leur destin en main ou qui sont dans une étape aux perspectives inattendues. Je n’ai de cesse de m’interroger sur le fait de suivre un destin tracé par la société. Pourquoi n’y aurait-il pas d’autres façons d’appréhender sa vie sans constamment faire face au jugement, devoir être dans la justification ou la culpabilité.
La pièce de Claudine Galea s’ouvre sur un acte fort, une femme quitte son mari et ses enfants, encore petits, sans donner de raison à son départ. À la première lecture, j’ai pensé qu’une maladie précédait sa décision de partir ainsi subitement, comme par nécessité. Cette facette du texte interroge ce qui pousse des femmes à faire ce choix – ou même à y penser – sachant que cela reste durement jugé par la société dans le cas d’une mère, bien plus que dans celui d’un père.
Françoise Gillard. Je dois tout d’abord dire que la langue de Claudine Galea est magnifique. Avoir un tel outil textuel, et sur un parcours féminin aussi fort, est un cadeau inouï. Défendre des œuvres aussi bien classiques que contemporaines est un des fondements de la Comédie-Française, et ce que j’aime par-dessus tout dans mon métier c’est justement d’aborder à chaque création une nouvelle écriture. Nous avons ici la chance d’être face à une œuvre extrêmement riche, dont la complexité me rappelle celles de Jean-Luc Lagarce ou d’Annie Ernaux. Ces écritures, à la ponctuation précise, se travaillent comme des gammes ; ce n’est qu’en ayant intégré leur technicité que l’on peut en révéler la poésie. Cela demande de les travailler longtemps en pénétrant peu à peu leurs secrets, jusqu’à parvenir à les restituer de façon fluide. C’est un cheminement passionnant.
Françoise Gillard. La pièce mêle en effet présences et absences, sans que l’on sache qui est le fantôme de qui : on a l’impression que le père et les enfants sont mes fantômes, comme je suis le leur. Pour nous acteurs, cela nous remue intimement en faisant appel à nos propres absents, à la disparition, à nos choix ou non choix… Comment survit-on à l’absence d’un proche, à qui nous quitte ou qui meurt. La force des mots y est jouissive, on joue avec ce qui est là et ce qui n’est pas là, ce qui est absent et ce qui se vit. Cela sans aucun pathos, grâce à l’écriture qui oscille entre la poésie et le concret et bien entendu grâce à la mise en scène très fine de Sandrine Nicolas.
Sandrine Nicolas est une metteuse en scène de sensations. Elle travaille depuis longtemps sur l’éveil des sens, et nous permet d’approcher l’œuvre de façon feutrée. Elle a su créer un espace visuel et sonore d’une immense délicatesse. Elle a conçu avec Aurélie Thomas une scénographie qui fonctionne sur l’effet de miroir : nous nous reflétons et pouvons être vus sous différents angles. Nous pouvons également nous tenir dans un espace derrière le miroir tout en apparaissant au premier plan en nous mélangeant avec ce qui y est présent. Ces états de superpositions font naître des visions étranges en terme d’apparition-disparition, entre ce qui est concrètement présent et les reflets qui s’y mêlent. Cela est renforcé par des passages en voix off. La contrebasse de Théo Girard qui signe la musique a aussi un rôle important, c’est pour moi le cinquième personnage de la pièce car elle emplit l’espace en prolongement des mots, sans les effacer et sans jamais être caricatural.
Françoise Gillard. Ce qui est formidable dans cette Maison est qu’il n’y a pas de clivage générationnel, les écarts d’âge sont totalement balayés. Nous partageons tout au long de notre parcours le plateau avec des personnes bien plus jeunes ou âgées que nous. Et notre position évolue avec le temps ! Certes Pierre et moi ne sommes pas de la même génération qu’Adrien et Léa, nous n’avons pas eu les mêmes maîtres, ni la même formation, mais cela constitue justement la richesse de notre collaboration et nourrit notre exigence commune.
L’intimité du quatuor nous emmène dans des endroits de création autres que les grandes distributions – que j’aiment également beaucoup. L’intimité apporte du calme dans le travail quand les grosses distributions sont nécessairement plus agitées, où il y a des personnes avec qui l’on a peu ou pas de scènes en commun. Ici, nous sommes continuellement ensemble. D’ailleurs, quand l’un ou l’une d’entre nous a pu avoir une indisponibilité, la répétition bien que possible nous semblait bancale. Nous avions hâte que l’absent revienne. Nous nous sommes vraiment attachés au quatuor familial que nous formons. On l’appelle entre nous « la famille de loin » !
Propos recueillis par Chantal Hurault
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