Entretien avec Léna Bréban

Reprise du spectacle jeune public « Sans famille » ! Léna Bréban évoque la façon dont elle a adapté le roman d’Hector Malot et mis en scène les multiples péripéties qui jalonnent le voyage de Rémi et de ses compagnons de route.


UN HOMMAGE À LA MAGIE DU THÉÂTRE

  • Chantal Hurault. Adapter le roman Sans famille, qui raconte le voyage de Rémi de ville en ville et ses multiples péripéties, est une véritable gageure. Quels ont été les principes fondateurs de cette création ?

Léna Bréban. Le pari était en effet de raconter le voyage, d’embarquer le public dans cette équipée sur plusieurs années en France et en Angleterre. Il m’a fallu trouver, avec Emmanuelle Roy à la scénographie, un système offrant le ressenti, spatial et temporel, de ce long périple. La tournette, avec un chemin qui évolue comme un tapis roulant autour d’une base centrale fixe, permet de faire défiler des paysages différents, de jouer sur des échelles et des perspectives entre le proche et le lointain. Des effets scéniques font varier la marche dans la durée, du beau temps à la tempête de neige ou au fog londonien.
C’est une machinerie ludique comme je les adore ! Avec ce spectacle, je souhaite rendre hommage à la magie du théâtre, à l’artisanat du plateau. Les acteurs sont partie prenante des changements de décor à vue, les autres éléments – la musique, la lumière, les costumes, le décor… – sont plus que jamais complémentaires. L’espace se transforme dans des mouvements d’ensemble, on glisse de Paris à Londres, de la rue à une auberge ou à une péniche. La tournette est le moteur de l’histoire qui avance, et, comme un livre pop-up, tout un monde s’ouvre à chaque séquence.

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  • Chantal Hurault. Le fait que cette troupe soit composée d’animaux est un autre grand défi de mise en scène. Comment avez-vous résolu l’incarnation de ces personnages ?

Léna Bréban. Nous avons conservé le singe Joli-Cœur et le chien Capi. Je ne voulais pas qu’ils soient interprétés sur le même mode pour leur donner une individualité, selon le statut qu’ils ont dans le roman. Le singe est incarné par une marionnette, manipulée par Jean Chevalier. Jean a été initié à la manipulation notamment par Christian Hecq : cette transmission à l’intérieur de la Troupe, qui est un thème central de la pièce, est très belle. Dès les premières répétitions, un vrai joli duo est né entre le petit singe autoritaire et le grand chien blasé ! Capi est quant à lui interprété par un comédien, Bakary Sangaré. J’aime beaucoup ce type de personnage, sans texte, chez qui tout doit passer par le regard et la présence du comédien. Capi a un rôle central ; au sein de la troupe, il agit comme l’adjoint de Vitalis et, surtout, c’est pour Rémi un substitut de mère Barberin, protecteur et d’une fidélité absolue. Le discours d’Hector Malot sur la relation des hommes aux bêtes est passionnant : ce sont « des bêtes intelligentes qui m’ont rendu intelligent » dit en substance Vitalis. C’est une de grandes thématiques initiatiques du roman, comme le deuil. Enfant, j’avais trouvé insupportable que l’auteur fasse mourir Joli-Cœur ! J’ai mis du temps à m’en remettre, comme pour Gavroche, mais ces pertes et ces deuils fictionnels m’ont aidée et fait grandir. Il y a peu d’occasion de montrer au théâtre le moment même de la mort, de raconter cet instant où la main que l’on sert dans la sienne lâche.

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  • Chantal Hurault. C’est sur un ton burlesque et une note cabaret que vous vous emparez des pans sombres du roman…

Léna Bréban. J’aime rompre avec les codes de jeu réalistes, élargir l’imaginaire et miser sur le rire. En distribuant Véronique Vella dans le rôle de Rémi, je savais que sa voix magnifique ferait du garçon musicien un chanteur extraordinaire. La pièce fluctue entre adresse directe au public – Rémi raconte son histoire – et le jeu – la fiction prend le dessus, le plateau entre dans l’action. Quant au burlesque, c’est du rythme. Charlie Chaplin est une référence pour l’équilibre qu'il maintient, dans Le Kid ou Le Cirque, entre les larmes et le rire. La pièce débute dans une teinte assez sobre et progresse vers le burlesque. Brecht et les misérables de L’Opéra de quat’sous sont présents ; dans les liens que je tisse, le recéleur d’enfants Garofoli me fait ainsi penser à Peachum. Le burlesque est aussi l’occasion de personnages mémorables, comme par exemple le duo d’arnaqueurs formé par Driscoll, qui se fait passer pour le père de Rémi, et James Milligan, qui a fomenté l’enlèvement du nourrisson et inventé cette fausse famille pour récupérer son héritage. La séquence chez les Driscoll est certainement la plus burlesque de la pièce : tout ici, le jeu, les accents anglais appuyés, les perruques exagérément rousses, décale la situation effrayante pour Rémi vers un absurde très drôle.
Je ne suis pas dans la caricature pure, mais je demande toujours une légère exagération. Je mène un travail sur le corps soutenu par des costumes colorés qui dessinent des singularités en quelques traits, dans le style du Magicien d’Oz de Victor Fleming. Alice Touvet a ainsi mené un travail exemplaire sur le style XIXe en intégrant de légers décalages. Dans notre idée d’un grand livre d’histoires illustré, nous avons pensé aux films en noir et blanc colorisés. Gustave Doré n’est pas loin, comme les illustrations originales des Mystères de Paris d’Eugène Sue.

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  • Chantal Hurault. En quoi la dimension sociale de Sans famille, que vous reliez aux romans sociaux du XIXe siècle, a-t-elle été moteur ?

Léna Bréban. Enfant, ma lecture de Sans famille a été un coup de foudre. J’y découvrais une autre époque, d’autres façons de vivre que la mienne. J’étais fascinée par cet enfant-héros qui connaissait la misère mais avait une vie exaltante. J’étais alors persuadée que le théâtre, c’était la troupe de Molière passant de ville en ville en roulotte, et ce qui était formidable ici, c’était que cette troupe voyageait à pied ! Dans l'adaptation, nous avons cherché avec Alexandre Zambeaux à ne pas abîmer ce désir enfantin d’aventure tout en prenant en charge la dimension humaniste, souvent très progressiste, avec laquelle Hector Malot décrivait son époque. On oublie vite, surtout dans les grandes villes, la misère qui nous entoure, que des gens meurent de froid encore dans la rue, comme Vitalis. Et il n’est pas anodin que Malot ait fait de Vitalis un Napolitain, un immigré issu d’une population alors méprisée comme le sont les Roms de nos jours. Concernant le travail des enfants, il est traité chez Garofoli qui exploite une bande d’orphelins, à l’image des réseaux mafieux d’aujourd’hui. Mattia, son violon sous le bras, me fait penser à Gavroche et à ces gamins du peuple chez Hugo qui n’ont pas beaucoup d’éducation mais du bon sens. Extrêmement touchant et très drôle, il est prêt à tout... du moment qu’il mange !

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  • Chantal Hurault. Qu’est-ce qui sauve selon vous ces enfants ?

Léna Bréban. Leur passion pour l’art assurément. À travers le destin de Rémi, ce gamin qui se retrouve propulsé malgré lui dans un univers artistique, et qui y prend goût, j’interroge le fait de devenir un artiste. Ce qui sous-tend l’amour du jeu et du public dans cette petite troupe est bouleversant ; je pense à Joli-Cœur qui, malade, veut suivre coûte que coûte la troupe sur les planches, à ses amis qui font l’expérience, déroutante, de faire rire les gens alors qu’ils sont en deuil, au destin brisé de Vitalis, ce chanteur d’opéra qui a perdu avec sa voix sa raison de vivre. L’histoire de Rémi est également celle d’un enfant découvrant que sa mère biologique n’est pas celle qui l’a élevé, mais qui multipliera des rencontres décisives. Ce roman d’initiation est un livre rare sur la force de la transmission, notamment en art entre Vitalis, Rémi et Mattia.
Je dois dire que l’amitié, la famille, l’importance des rencontres sont des thèmes qui me touchent profondément car j’ai moi-même été adoptée par mon beau-père qui a énormément compté pour moi. Je m’écarte en ce sens quelque peu du happy end du roman tel que Malot a pu le penser, du fait d’un milieu et d’une époque attachés à un bonheur bourgeois fondé sur la fortune. Car si la mère biologique de Rémi, Mrs Milligan, s’avère être une mère idéale, très riche, je ne voulais pas qu’elle masque l’importance de Mère Barberin, qui a nourri, langé, réconforté Rémi petit. À ces deux mamans s’agrègent les personnes qu’il a rencontrées sur sa route et grâce auxquelles il s’est construit. La grande réussite de Rémi est de réunir, autour de sa mère et de son frère Arthur, Mère Barberin, le vieux Capi fidèle parmi les fidèles et Mattia, devenu un violoniste renommé. Ils sont passés par des épreuves aux enjeux sociaux et artistiques forts. La pièce se termine sur l’image de cette famille élargie, sur laquelle plane le souvenir de Vitalis disparu, qui a été pour Rémi un tuteur, au sens jardinier du terme.

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Entretien réalisé par Chantal Hurault Responsable de la communication et des publications du Théâtre du Vieux-Colombier

Photos de répétitions © Christophe Raynaud de Lage

14 November 2024

Sans famille
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