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Le 6 novembre 2023, le Théâtre du Vieux-Colombier accueillait une rencontre publique autour de la figure d’Olympe de Gouges, autrice de « La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne », texte inscrit au programme du baccalauréat. Lecture d’Anne Kessler (suivie du « Discours prononcé à la Société fraternelle des minimes », de Marie-Josèphe Théroigne de Méricourt) Rencontre avec l’historienne Michelle Perrot conduite par la journaliste Béline Dolat
Par Anne Delaplace, professeure de lettres
Olympe de Gouges (1748-1793), femme de lettres et révolutionnaire, gommée de l’histoire de France pendant des siècles, est depuis 2021 au programme du baccalauréat. Et même l’historienne Michelle Perrot, invitée d’honneur de cette soirée, salue l’événement d’une exclamation enjouée : « Voir arriver Olympe de Gouges au programme du bac, je n’en reviens pas ! »
Tout commence par le texte, sa densité, sa rhétorique révolutionnaire. La comédienne Anne Kessler assume la charge d’une lecture exigeante. Debout face au pupitre, regard tendu vers la page, la récitante lit et éprouve, dans son souffle, la longueur des phrases, l’âpreté d’une écriture qui relève davantage du droit que de la littérature. Pour surmonter la complexité de la syntaxe, la comédienne ménage des pauses bienvenues, accentue la clarté nécessaire de la diction. L’exercice de la lecture expressive demandé aux bacheliers prend sur scène toute sa dimension : il n’est pas simple de lire à voix haute « La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » ! Michelle Perrot, tournée vers le public scolaire présent dans la salle, reconnaît d’ailleurs la difficulté de ce texte et en rappelle la nature profondément juridique, ancrée dans une époque avide d’un droit moderne enfin libéré des privilèges de l’Ancien Régime.
Pour comprendre les circonstances à la fois historiques, sociales et politiques qui ont vu émerger une œuvre aussi atypique, Michelle Perrot contextualise « La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ». À travers les anecdotes biographiques, la peinture d’une époque animée par l’esprit des Lumières, l’historienne redonne vie à Olympe. Nous découvrons la détermination d’une toute jeune veuve, encore nommée Marie Gouze, arrivée seule de Montauban à Paris avec son enfant sous le bras. Nous la suivons dans la capitale, décidée à écrire et à se faire entendre, malgré son accent méridional et son manque d’instruction. Nous apprenons sa déconvenue lorsque ses pièces de théâtre sont refusées par la Comédie-Française. Au XVIIIe siècle, il est plus facile d’être actrice que d’être autrice ! Se considérant comme une femme de lettres, se donnant pour nom de plume Olympe de Gouges, revendiquant le droit de « monter à la tribune » comme les hommes, Marie Gouze sort de la place que la société lui a attribuée. En dépit des bienséances, elle écrit avec frénésie, placarde elle-même ses textes sur les murs de la ville et prend la parole sans qu’on la lui donne. C’est notamment cette extraordinaire liberté qui lui est reprochée et lui coûte la vie en 1793. Ainsi les propos du procureur Pierre-Gaspard Chaumette qui, en charge du procès d’Olympe de Gouges, accuse l’« impudente » d’avoir « oublié les devoirs de son sexe » et condamne à mort cette « virago » ayant l’outrecuidance de se comporter comme un homme – c’est-à-dire d’oser penser par elle-même et défendre publiquement ses idées.
Michelle Perrot met en évidence la pluralité des causes défendues par Olympe de Gouges. L’historienne souligne notamment la « hardiesse » de cette femme qui condamne l’esclavage et, ce faisant, s’inscrit dans le mouvement progressiste des Lumières en faveur de l’abolition. Sa pièce, Zamor et Mirza ou l’Esclavage des Noirs, jouée au Théâtre de la Nation qui, à l’époque, appartenait à la Comédie-Française (aujourd’hui l’Odéon-Théâtre de l’Europe), met en scène des esclaves, et dénonce la cruauté des planteurs. Scandale ! Olympe remet également en cause l’institution du mariage, qu’elle considère comme le « tombeau de la confiance et de l’amour ». Nourrie de la pensée du philosophe Jean-Jacques Rousseau, elle propose au terme de sa Déclaration un nouveau « Contrat social de l’homme et de la femme ». Elle s’engage pour les droits des enfants illégitimes, toujours bafoués (elle-même fille naturelle d’un noble qui a séduit puis abandonné sa mère, elle a personnellement souffert de cette bâtardise si dénigrée socialement). C’est enfin la cause des femmes qui l’anime, et lui inspire en 1791 cette historique « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ».
La lecture d’Anne Kessler a mis en valeur la forme plurielle de ce texte. L’adresse liminaire à Marie-Antoinette semble, a posteriori, une tentative bien risquée de placer la Déclaration sous la protection d’une souveraine détestée du peuple et honnie des révolutionnaires. Mais comme le révèle Michelle Perrot, Olympe de Gouges assume son statut de girondine, elle croit encore en la possibilité d’une monarchie constitutionnelle. Sa dédicace à la reine apparaît aussi comme un appel – sororal avant l’heure – à une forme de solidarité féminine distincte du pouvoir masculin. L’avant-propos, véhément, polémique, pousse la récitante à hausser le ton : « Homme, es-tu capable d’être juste ? », la tournure rhétorique de la question laisse entendre la forme négative de la réponse. Olympe sait tout ce que la Révolution a retiré aux femmes. Tout en rappelant les droits acquis par ces dernières dans la sphère privée (droit au divorce, consentement dans le mariage, égalité dans l’héritage), Michelle Perrot insiste sur ce qu’elles ont perdu dans la sphère publique : les droits politiques. L’historienne rappelle qu’Emmanuel-Joseph Sieyès, théoricien de la Révolution, exclut en effet les femmes du droit au suffrage et les range dans la catégorie des citoyens « passifs », au même titre que les enfants, les fous, les pauvres et les étrangers… C’est pour contester cette injustice qu’Olympe de Gouges décline au féminin « La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » de 1789. À travers la réécriture solennelle des dix-sept articles de ce texte fondateur, l’autrice revendique l’égalité totale des droits entre les hommes et les femmes, ouvrant ainsi la voie à un féminisme qui ne porte pas encore son nom, mais qui est incontestablement en germe.
Le discours virulent d’une autre femme rebelle, Marie-Josèphe Théroigne de Méricourt (1762-1817), qui clôt la lecture d’Anne Kessler, permet d’élargir l’engagement d’Olympe de Gouges à d’autres grandes figures féminines de l’époque. Si Théroigne se considère comme une « amazone », les hommes de l’époque la réduisent au statut de « tricoteuse », comme toutes celles qui, à défaut de pouvoir participer aux débats de l’Assemblée nationale, y assistent dans l’ombre, tricot à la main.
L’histoire des femmes semble tendue entre ces contraires : l’aspiration toujours plus forte à l’indépendance, et la soumission contrainte à la sphère domestique. N’en déplaise à ces messieurs, c’est à Olympe et à toutes les amazones que l’histoire – en France du moins – a donné raison.
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