Guermantes, objet cinématographique

En mars 2020, les répétitions du Côté de Guermantes, spectacle repris cette saison et que préparait alors Christophe Honoré avec la Troupe, sont interrompues par le confinement. Naît le projet de confier au metteur en scène la réalisation d’un film inspiré de cette situation inattendue, pour faire que la contrainte devienne aussi création… Pari tenu, il réalise en quelques jours en juillet 2020, avec les comédiennes et comédiens du spectacle, le film Guermantes.

Le synopsis du film

Paris, été 2020. Une troupe répète une pièce d’après Marcel Proust. Quand on leur annonce soudain que le spectacle est annulé, ils choisissent de continuer à jouer malgré tout, pour la beauté, la douceur et le plaisir de rester ensemble.

La note de Christophe Honoré aux acteurs

“Voilà ce que j’écrivais le 18 juin 2020 aux actrices et aux acteurs de la Comédie-Française avec qui en mars j’avais commencé à répéter un spectacle d’après Proust, avant que l’instauration du premier confinement nous enferme chacun chez nous :

« Il semblerait qu’on puisse se revoir enfin en juillet et il semblerait qu’on me confie une caméra. Il y aurait donc un film à faire. Un film qui parlerait de vous, de Proust, de ce qui se passe autour de nous, de nos vies. Je n’ai rien écrit, sinon quelques notes. J’ai le rêve d’un film qu’on pourrait imaginer ensemble au jour le jour. C’est jamais aussi simple que ça. Néanmoins, dans l’urgence de cette fabrication qui s’offre à nous, je me dis qu’il faut tenter notre chance sans craindre l’effet tremblé, l’effet inachevé. On se retrouverait de 14h à 23h pendant ces dix jours, et on filmerait des choses qu’on a décidées la veille. Il y aurait parfois un peu de texte, parfois des improvisations, parfois de la vie telle quelle qu’on tâcherait de capter. J’aime bien l’idée de vous filmer et vous regarder de près ».

Je joignais à mon courrier trois films à regarder avant ce tournage imprévu : « French Cancan » de Jean Renoir, « L’Etat des choses » de Wim Wenders et « Somewhere » de Sofia Coppola.

Une semaine plus tard, je leur envoyais un nouveau courrier où je leur parlais de leur trousseau pour ce séjour en immersion au Théâtre Marigny : « Prévoyez une tenue de répétition, évitez les couleurs trop fortes et saturées. Evitez les blancs éclatants et les noirs ennuyeux. Et surtout évitez les bermudas et les sandales. Privilégiez les coupes qui dévoilent la peau du cou, la peau des bras, la peau des chevilles… Pour les garçons, soyez vigilants à vos chaussettes. Pour les filles soyez vigilantes à vos soutiens-gorges. Pensez tous qu’il fera peut-être beau, qu’une paire de lunettes de soleil peut vous être utile. Pensez que le moins de bijoux, de montres, de boucles d’oreilles est toujours le mieux. Pensez à vos cheveux. Pensez à oublier de les coiffer. Nous tournerons un peu dehors le soir, pensez à une petite laine, une petite veste, un petit foulard, un petit truc qui vous tiendra chaud. Ne pensez pas à vous protéger de la pluie, s’il pleut, c’est très joli des habits mouillés. »

J’ai l’espoir que parfois le cinéma peut se suffire de ça : des acteurs, un lieu, quelques vêtements. Et le désir d’être ensemble et d’inventer quelque chose à traits rapides et libres. Nous sortions tous du premier confinement, de cette période d’empêchement. Ce temps imposé que nous avions vécu me semblait ne pas être étranger au temps perdu chez Proust, une expérience que seule la création pouvait retrouver.

Un des épisodes les plus marquants de La Recherche, est celui de la mort de la grand-mère. Il se déroule exactement à quelques mètres du Théâtre Marigny. Je tenais à associer ce lieu romanesque où la grand-mère du narrateur est victime d’une attaque, avec le lieu réel des jardins qui entourent le théâtre. Comme un écho de la fiction dans notre présent de troupe au travail. Un point de fuite où peut-être se rejoindrait la beauté d’une œuvre d’art et la beauté d’aujourd’hui. Le film que nous avons tourné vise ce même point de fuite, ce même système d’échos. Il révèle le présent récent des acteurs qui une fois leurs costumes de personnages retirés, doivent faire face à la réalité d’une situation où l’essence même de leur métier peut les mettre en danger. Il mêle notre besoin de rêver, de nous échapper, avec notre nécessité de faire face à une menace.

Au même moment où a émergé cette idée d’un tournage inattendu, un Professeur de Médecine à l'hôpital Henri-Mondor m’écrivait ceci : « Dans ce moment unique de l'histoire, d'une violence extrême, chargé d'une émotion indicible, nous avons besoin du regard des artistes dans nos murs pour témoigner. Le temps médiatique, tronqué et déformé ne reflète pas ce qui se joue dans les couloirs, dans les chambres, dans l'âme et le corps des patients et des soignants. Je suis prêt à vous accueillir si vous le souhaitez dans notre hôpital ». Je prenais du temps avant de lui répondre, m’apercevant qu’il ne m’était pas si simple de décider que ma première échappée de confinement soit pour un hôpital.

Et surtout, je me sentais bien peu légitime, presque déplacé de prétendre être un témoin compétent pour enregistrer une mémoire immédiate. Néanmoins, je me tenais disponible pour ce projet, qui finalement s’est avéré impossible à mener d’un point de vue administratif et sanitaire. Je crois aujourd’hui que ce film est aussi d’une certaine manière, une réponse apportée à ce médecin, comme un geste tendre et reconnaissant.

Je ne veux pas avoir à clarifier ici ce qui est d’ordre plus documentaire, ou autobiographique de ce qui l’est moins. Mais je sais que ce film est certainement « le plus vrai » de ceux que j’ai pu tourner. Aux spectateurs maintenant de décider ce qui, dans « Guermantes », a bien eu lieu.”

Christophe Honoré. Mai 2021

Article publié le 27 février 2023
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Le Côté de Guermantes / Au cinéma

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