Le Bourgeois gentilhomme, commandé à Molière et à Lully suite à des péripéties diplomatiques relatées par le Chevalier d’Arvieux dans ses Mémoires, est représenté pour la première fois le 14 octobre 1670 à Chambord devant le roi. Trois autres représentations y suivront avant que le spectacle soit joué à Saint-Germain puis au Palais-Royal à partir du 23 novembre. Enthousiaste, le roi félicite publiquement Molière de ne l’avoir jamais autant diverti avec ce Bourgeois alors divisé en trois actes.
La version publiée l’année suivante en comporte cinq aux cours desquels la scène se peuple progressivement de musiciens.
De la partition restée manuscrite, peu d’exemplaires subsistent. C’est la copie de Philidor de l’ensemble de l’œuvre (la comédie et la partition) et l’édition de la comédie de 1681 qui contiennent cette version définitive de Lully . La pièce capitale et novatrice de la partition ‒ la cérémonie turque qui termine l’acte IV ‒ est reproduite dans plusieurs ballets que composa ensuite Lully .
La musique et le texte théâtral qui forment une unité dramaturgie nouvelle dans Le Bourgeois gentilhomme subissent un traitement différencié, la première donnant matière à des réécritures plus fréquentes que le second. En effet, le recours à la partition de Lully est, depuis le XVIIIe siècle, régulièrement discutée et « modernisée » par de nouveaux divertissements. Aux choix scéniques variés, allant du rejet à l’adaptation et la reconstitution, répond une réception critique tout aussi partagée dans son appréciation de la fidélité ou non à Lully.
Le musicien Quinault compose, en 1716, des divertissements très mal accueillis car « il en a composé tant qu’il a pu de sa petite façon et en a farci Le Bourgeois gentilhomme, ce qui a raisonnablement dégoûté le public de cette comédie. » Mais l’appétit revient car quelques mois plus tard, sur la scène du Théâtre du Palais-Royal, la reprise de ce spectacle est qualifiée de « brillante » !
Vingt ans plus tard, la pièce est rejouée avec, cette fois, les airs de Lully et tous ses agréments (1736).
Au XIXe siècle, Le Malade imaginaire et Le Bourgeois gentilhomme, comédies-ballets de Molière alors les plus jouées, profitent de l’étroite collaboration entre la Comédie-Française et l’Opéra qui accueille notamment Le Bourgeois agrémenté d’un nouvel intermède précédant le finale du spectacle (1840). Théophile Gautier regrette que « les airs de musique et les pas de ballets intercalés jurent avec la couleur générale de la pièce qu’ils rendent démesurément longue ».
Le tricotage se poursuit avec la restitution de musiques composées par Lully (le 15 janvier 1852 devant Louis-Napoléon Bonaparte) puis avec l’insertion de morceaux éloignés de la partition d’origine (1862). La Comédie-Française est ici attentive à la justesse historique, ce qu’approuve prudemment la presse : « Il ne faut pas évidemment demander à la musique de Lully (je propose qu’on harmonise avec un « y » sur tout l’article) le genre d’émotion et de plaisir que nous cherchons dans la musique moderne […]. Il n’en est pas moins intéressant de faire revivre de temps à autre l’art de nos arrière-grands-pères. Je voudrais par exemple, que la Comédie-Française apportât un soin plus scrupuleux à la restauration des intermèdes introduits par Molière dans sa pièce […]. Je demande de plus à M. le chef d’orchestre s’il serait bien difficile de supprimer la partie de trombone égarée dans la partition moderne. C’est Gluck qui l’introduisit en France en avril 1774. Un siècle de différence avec Lully ! » .
Quand, pour fêter en grande pompe le bicentenaire de la Comédie-Française en 1880, l’administrateur Émile Perrin veut faire revivre les représentations de Chambord dans ce XIXe siècle amateur d’histoire et d’archéologie, il reprend la musique de Lully. C’est là que le bât blesse : « Je ne veux pas dire du mal de Lully qui fut en son temps un grand artiste […] mais bien d’autres musiciens sont venus depuis, et Rameau, et Gluck et Mozart, et Rossini, et Meyerbeer, et Gounod, sans parler des musiciens de l’avenir […] Disons-le franchement : la musique du Bourgeois gentilhomme a paru quasi funèbre .»
Weckerlin, chargé de reconstituer les parties de flûte, de hautbois et de bassons, déplore de son côté le manque de moyens pour une fidèle reconstitution : « On me fourre cinq musiciens au fond du théâtre. Mais l’orchestre du temps comprenait vingt-quatre violons qui étaient placés devant la scène […]. Ça, du Lully ! […] Ils y ont fourré des airs de Rameau ! »
Ces airs de Rameau (Tambourin) ne sont pas prêts d’être délogés et sont mêlés à de nouvelles compositions de Richard Strauss pour une adaptation du Bourgeois gentilhomme . Des emprunts sèment le trouble, tels que la Marche de Turenne probablement de Lully, confondue avec la Farandole réutilisée par Bizet dans L’Arlésienne (1916). Parfois, des airs sont au contraire supprimés au gré des reprises à partir du début du XXe siècle. Mais ce qui gêne les spectateurs, « jusqu’au jour où l’on sera décidé à ouvrir par un cloisonnement de proscenium » , est la présence sur scène du chef d’orchestre Raymond Charpentier, vêtu d’un caftan et d’un turban de muphti.
La gymnastique s’intensifie à partir des années 1950 entre émancipation et restitution. André Jolivet, alors directeur musical au Français (1945-1959), restaure tout en adaptant la partition de Lully qu’il réécrit pour la célèbre mise en scène de Jean Meyer (1951). Il ne conserve que l’ouverture, quelques passages musicaux dans les trois premiers actes et effectue des coupes très importantes (il garde une partie seulement du Ballet des Nations et la partie parlée de la cérémonie des Turcs écrite par Molière) dans cette comédie-ballet jugée trop longue au XXe siècle .
En 1972, c’est au ballet de s’accommoder de la scène exigüe du chapiteau dressé dans le jardin des Tuileries pour la mise en scène de Jean-Louis Barrault. Les arrangements de Michel Colombier qui respecte la musique de Lully, s’en émancipent au fil du spectacle perçu comme un placage malheureux voire une dérision de l’œuvre de Molière : « Nous avons droit à des rythmes simili-sud-américains, à des déhanchements swingués, au grand tableau oriental du Mamamouchi style final de revue au casino des bains de mer, avec référence à Hair pour attirer la jeunesse. »
Pour le tricentenaire de la Comédie-Française, Jean-Laurent Cochet propose une lecture plus classique (1980) en revenant à Strauss qui ne bénéficie pas de l’indulgence critique après la libre interprétation très seventies de son prédécesseur : « Lully est sacrifié à Strauss qui n’a rien à faire ici. Trop de musique, puis trop peu. » .
La musique de Strauss étant, pour Jean-Luc Boutté également, représentative d’une actualisation abusive et d’une tradition issue du XIXe siècle à laquelle il veut échapper, le metteur en scène conserve la musique de Lully qui l’émeut. Il lui « plaît de vivre la folie du personnage dans cet ordonnancement très pur » d’une musique d’époque étudiée par le directeur musical Dominique Probst pour dégager les caractères spécifiques de chaque danse. C’est la dernière fois que Lully, dans sa version classique la plus fidèle, s’est fait entendre.
En effet, la transcription musicale, rythmée et enregistrée de Mathias Camison (mise en scène de Jean-Louis Benoit, 2000) éclipse Lully et emprunte aux « turqueries de Schubert et Mozart » avec sa Marche turque ainsi qu’à « l’inspiration pseudo-orientale de Strauss » . Alors que la présence sur scène du directeur musical (1918) était critiquée, c’est désormais l’absence de musiciens sur le plateau, remplacés par des « burlesques aux allures tyroliennes […] qui font semblant de jouer leurs crincrins sans corde » , qui est déplorée.
Ceci est aujourd’hui révolu. Soucieux du respect d’une œuvre dont la musique originale vient néanmoins, pour eux, freiner le rythme de la comédie, Christian Hecq et Valérie Lesort, proposent aujourd’hui, avec la collaboration des musiciens-compositeurs Mich Ochowiak et Ivica Bogdanić, une nouvelle interprétation. Sur scène, cinq musiciens et un comédien jouent la partition de Lully majoritairement conservée mais transposée dans l’univers musical trépidant des Balkans. Un ailleurs inédit à la Comédie-Française pour ce Bourgeois gentilhomme qui s’affranchit de son XVIIe siècle natal.
Florence Thomas
Archiviste-documentaliste à la Comédie-Française
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