« Les Précieuses ridicules » de Molière, Mise en scène Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux du 25 mars au 8 mai 2022 au Théâtre du Vieux-Colombier
À l’automne 1658, la troupe de Molière, alors basée à Rouen, est appelée à devenir la troupe officielle de Monsieur, frère du Roi, et se voit attribuer la salle du Petit-Bourbon, qu’elle partage avec la troupe italienne.
Pour réussir, Molière devait s’attirer les faveurs du public de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie mondaines, tant sur scène que dans les salons, et interpréter la tragédie, genre noble dans la hiérarchie dramatique. Il s’attache aux deux. À Pâques 1659, la troupe est reconfigurée par l’arrivée du vieux Jodelet, comédien très célèbre pour ses compositions de valets rustres, travestis en aristocrates.
Molière compte sur lui ainsi que sur deux nouvelles recrues dans les rôles de jeunes premiers : La Grange et Du Croisy.
Mais Jodelet est âgé et ne tient pas ses promesses. Molière doit donc écrire une nouvelle comédie pour faire repartir les recettes, dans laquelle Jodelet tiendra un rôle, mais secondaire, face à La Grange et Du Croisy : il écrit ainsi Les Précieuses ridicules, avec également Madeleine Béjart en Magdelon, Catherine de Brie en Cathos et lui-même en Mascarille.
Dans la veine de plusieurs opuscules déjà parus, il choisit de parodier le milieu aristocratique, féru de galanterie, dans lequel lui-même gravite et dont quelques traits seront poussés à l’excès. En cela, il ne contredit pas l’esprit galant dont l’enjouement est l’une des caractéristiques. La société galante apprécie fort ces exercices d’auto-ironie. La parodie repose sur la relation de complicité qui existe entre Molière et le public galant. L’existence d’un véritable milieu « précieux » est une interprétation abusive des historiens du XIXe siècle qui ont pris au pied de la lettre les publications parodiques de l’époque.
La comédie burlesque proposée par Molière connait un succès phénoménal à l’automne 1659, à tel point qu’elle déclenche une mode littéraire et nombre de publications sur les prétendues précieuses. Un éditeur indélicat, Jean Ribou, compte éditer la pièce sans l’autorisation de l’auteur mais Molière averti s’empresse de lancer sa propre impression, fait exceptionnel pour une pochade en un acte et en prose.
Molière venait d’inventer un nouveau type de comique fondé sur la parodie des usages mondains, qu’il allait utiliser par la suite à de nombreuses reprises pour ses personnages de marquis. Singer la société contemporaine pour en faire une pièce bouffonne était un procédé totalement inédit. Le succès théâtral et la mode qu’il suscite propulsent Molière sur le devant de la scène, en tant qu’auteur.
Les Précieuses ridicules ont été jouées 1508 fois par les Comédiens-Français dont 91 fois en tournée, et sont irrégulièrement représentées au cours du temps. Molière lui-même cesse de jouer la pièce après 1666. En ce sens, on peut dire que Les Précieuses ridicules est une pièce de circonstance. La troupe n’en donne plus aucune représentation, jusqu’en 1680, quelques semaines avant la fondation de la Comédie-Française, en août.
La pièce est peu jouée au XVIIIe siècle, elle est absente de la programmation pendant une vingtaine d’année au début du siècle, puis de nouveau à partir de 1783. Le ridicule des précieuses et de leur galanterie outrancière n’entrait plus en connivence avec le public détaché de cette mode passagère.
Pour autant, passé cette période de purgatoire, elle va revenir dans la programmation pour s’adapter à d’autres contextes qu’à celui de sa création et atteindre dans sa satire d’autres aspects de la société : les effets de mode en tous genre, l’opposition Paris/Province, l’ignorance. En effet, la pièce revient en force au XIXe siècle, à partir de 1819, comme toutes les pièces de Molière qui avaient été délaissées au XVIIIe siècle – notamment les pièces de circonstances. L’interprétation de la pièce a changé d’objet : on s’y moque généralement des ridicules, et non plus particulièrement d’un courant propre à la fin du XVIIe siècle dont Molière avait dénoncé les travers les plus extravagants dans sa pièce.
Par la suite elle est jouée très régulièrement. Sa popularité est telle qu’elle est choisie pour la première retransmission cinématographique d’une représentation théâtrale : Une soirée à la Comédie-Française, de Léonce Perret, en 1934.
André Brunot est le premier acteur à en signer la mise en scène en 1937. Les mises en scène se succèdent, oscillant entre la charge comique, et la rêverie nostalgique et folle, selon le degré d’empathie des metteurs en scène avec les personnages.
Robert Manuel s’empare à deux reprises des Précieuses ridicules : en 1949, puis en 1960, avec de nouveaux décors. La critique est sans appel : la charge est trop outrancière, poussée en grosse farce. Le Monde parle de « numéro de cirque manqué », de « comique troupier » (15 avril 1960), la mise en scène se caractérise par son « outrance » et sa « vulgarité » pour La Croix (6 mai 1960), le spectacle a « atteint la limite qu’il ne faut pas dépasser » pour le Figaro littéraire (23 avril 1960). En 1971, Jean-Louis Thamin annonce une mise en scène qui représenterait un rêve de deux jeunes filles, qui se réalise, mais dont la fin en ferait une « pièce sanglante » (La Croix). La critique relève cependant davantage la charge, avec une mise en scène qui multiplie les « effets de cirque » (Le Monde 30 novembre 1971), « une clownerie » (Valeurs actuelles,6 décembre 1971).
Jean-Luc Boutté prend le contrepied de ces interprétations poussant les personnages vers le ridicule pathétique : il « refuse de se moquer de ces précieuses dont les rêves valent bien ceux des autres » (Le Figaroscope, 3 février 1993). La critique décrit une mise en scène qui prend au sérieux la sincérité des personnages, navigant au sein d’un décor parsemé d’énormes bulles transparentes et volantes, comme dans un songe. Le metteur en scène se débarrasse des « gros effets » habituels (La Croix, 19 février 1993).
En 2007, au Théâtre du Vieux-Colombier, Dan Jemmett transpose la pièce dans la société contemporaine. Les précieuses ne sont plus de jeunes sottes, mais des « fashion victims » sur le retour. Catherine Hiegel, Catherine Ferran, Andrzej Seweryn et Serge Bagdassarian discourent dans un vestiaire années soixante.
La mise en scène de Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux se situerait davantage dans la lignée de celle de Jean-Luc Boutté : les précieuses sont de jeunes provinciales comiques et tragiques à la fois, car elles peinent à se placer à la hauteur de leurs ambitions. Les metteurs en scène souhaitent montrer le rêve qui les habitent et rester empathiques avec des personnages qui portent une dimension dramatique. L’actualisation est de mise, contrairement à la mise en scène de Boutté qui avait restitué des costumes de Cour éblouissants : le spectacle cherchera ce que pourrait être le « nouveau baroque » d’aujourd’hui.
Claire Lempereur,
Documentaliste à La Comédie-Française
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