« Fanny et Alexandre » d'Ingmar Bergman. Mise en scène Julie Deliquet. Du 9 février au 16 juin 2019, Salle Richelieu.
Nombreux sont dans la littérature dramatique les procédés convoquant des personnages allégoriques (muses de la Comédie, de la Tragédie), agençant des enchâssements de pièces (la représentation de La Souricière dans Hamlet), mettant en scène une satire de la vie théâtrale qui participe bien souvent aux querelles qui l’agitent (comme la concurrence entre l’Opéra, la Comédie-Française et le Théâtre de la Foire au XVIIIe siècle), relayant et amplifiant les débats, polémiques et conflits qui animent le public concernant la réception des pièces, comme dans La Critique de l’École des femmes de Molière (1663).
Un type particulier de mise en abyme confronte la fiction à la troupe qui l’interprète. En se mettant elle-même en scène, cette dernière peut substituer au pacte d’illusion un pacte de connivence, en particulier dans des lieux comme la Comédie-Française où se tissent au fil du temps un rapport de compagnonnage avec le public.
Paradoxalement, la représentation d’une troupe en train de répéter, d’un théâtre en train de se faire, déjoue l’illusion pour faire triompher la vérité. En ce sens, pour certains dramaturges, le procédé se meut en véritable manifeste : la représentation du théâtre dans le théâtre, loin d’amplifier l’illusion à laquelle est soumis le spectateur, éveille une distanciation salutaire, au sens de Brecht (Petit organon pour le théâtre), et fait du théâtre un révélateur d’une réalité plus intense et plus évidente. Deux pièces, en particulier, peuvent illustrer cette catégorie de textes dramatiques. Gigantesque enchâssement qui, jusqu’au dénouement, vise à tromper à la fois personnages et spectateurs, L’Illusion comique de Pierre Corneille (1636) en est l’illustration parfaite, s’achevant en apologie du théâtre comme « révélateur » de la vérite. Primadant, sans nouvelles de son fils Clindor, va consulter le mage Alcandre, qui, par un procédé magique, lui dévoile sa vie, ses fréquentations et son destin tragique. Le père désespéré par l’annonce de la mort de Clindor se voit rassuré par Alcandre qui lève le voile sur l’artifice : les scènes que l’on a vues étaient en fait jouées par une troupe au sein de laquelle Clindor s’est fait comédien et joue la tragédie. Primadant ainsi éclairé pardonne à son fils et se range à l’avis d’Alcandre : comédien est un bien beau métier.
L’Impromptu de Versailles de Molière (1663) montre quant à lui sa troupe au travail : elle répète une pièce pour le Roi, égratigne au passage les concurrents de l’Hôtel de Bourgogne – comédiens infatués et ridicules – et démontre la suprématie de Molière dans l’art théâtral. Ce procédé inédit représentant une troupe se mettant elle-même en scène est d’une efficacité sans précédent dans le débat qui suit la création houleuse de L’École des femmes (1663), et démontre la supériorité de l’auteur sur ses contradicteurs qu’il parvient à faire taire, avec les armes mêmes du théâtre.
Quand ce ne sont pas les querelles de troupes et les discours esthétiques portés par les unes et les autres que l’on illustre, on se moque volontiers des travers des comédiens. Une nouvelle fois, la connivence du public est requise. En se livrant à la caricature du métier, les auteurs exploitent le potentiel de fascination des acteurs, du lieu, de la vie théâtrale et de son fonctionnement.
Le quotidien de la Troupe est ainsi un sujet de choix pour des auteurs qui souffrent parfois d’être à leur merci : ainsi du prologue du Comédien-poète de Montfleury (1673) qui expose les circonstances de la réception de la pièce ou de L’Impresario de Smyrne de Goldoni (1759), qui présente une troupe de jeunes artistes venant comiquement tenter leur chance à Venise.
Dans bien des cas, les comédiens jouent eux-mêmes leurs propres rôles, en particulier à la Comédie-Française. La Troupe devient héroïne théâtrale à part entière et peut ainsi gagner un public complice en le prenant à parti. Dancourt, comédien-auteur qui s’inscrit dans le sillage de Molière, est particulièrement friand de ce procédé de mise en scène de ses camarades, en particulier dans L’Opérateur Barry (1702) et La Comédie des comédiens ou l’Amour charlatan (1710). Dans le prologue de la pièce de Laffichard et Panard, Les Acteurs déplacés ou l’Amant comédien (1735), les acteurs de la Troupe contemporaine figurent comme personnages. Madame Dangeville, Messieurs Poisson, Montmeny, La Thorillière, Fleury, Mademoiselle Grandval, dialoguent avec la Ville de Paris personnifiée et la Folie qui prétend imposer une pièce sans réception. À l’occasion du centenaire de la mort de Molière (1773), Lebeau-de-Schosne écrit L’Assemblée. Le public y découvre celle des Comédiens-Français et les coulisses de la création – parfois sur le mode comique, l’auteur prenant un malin plaisir à dénoncer les défauts, les rivalités qui animent la Troupe, interprète de ses propres guerres intestines. La pièce en temps réel illustrant le quotidien de cette micro société s’achève sur l’apothéose de Molière.
Le vedettariat théâtral bénéficie de plusieurs vecteurs de diffusion dont le théâtre lui-même, à la Comédie-Française comme sur d’autres scènes. Sur son versant comique, les frasques d’Arnal, acteur du Palais-Royal, que le public a pu suivre dans la presse, inspirent à Labiche La Dame aux jambes d’azur en 1857. Mais plus sérieusement, l’évocation de la vie théâtrale dans les pièces elles-mêmes est aussi le prétexte pour se livrer à l’hagiographie des grandes figures du théâtre quand vient le temps de leur rendre hommage – à commencer par Molière, qu’une multitude de pièces de circonstances, prologues et avant-propos mettent en scène, mêlant parfois l’hommage à la parodie comme le feront Cocteau en 1963 avec L’Impromptu du Palais-Royal et Jean Poiret en 1974 avec L’Impromptu de Marigny, tous deux inspirés par L’Impromptu de Versailles. Nombre de ces pièces sont composées à l’occasion de l’hommage à Molière qui constitue chaque année un jubilé rituel.
Certains membres de la troupe de la Comédie-Française sont également évoqués comme figures tutélaires : les fantômes de Lekain et d’Adrienne Lecouvreur interviennent dans Le Journaliste des ombres ou Momus aux Champs-Élysées de Joseph Aude (1790), Lekain et Mlle Gaussin figurent dans Voltaire et Mme de Pompadour de Lafitte et Desnoyer (1832), Floridor dans Les Comédiens de Casimir Delavigne (1820) ou encore Montfleury dans Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand (1897). En 2012, Christophe Barbier livre Une histoire de la Comédie-Française mise en scène par Muriel Mayette-Holtz où il fait revivre les personnalités marquantes telles que Rachel, Mlle Mars, Voltaire…
Certaines figures sont particulièrement romanesques. Adrienne Lecouvreur est à ce titre exemplaire : Armand-Jean Charlemagne s’en empare en 1817, Scribe et Legouvé en 1849, l’héroïne étant alors interprétée par l’étoile du moment, Rachel. L’opéra et le cinéma ne tarderont pas à en faire une légende.
Nombre de spectacles utilisent également le lieu, les bâtiments de la Comédie-Française comme décors : le spectateur est invité à franchir le quatrième mur pour pénétrer l’univers fantasmatique des coulisses ou, à l’inverse, contempler sur scène comme dans un miroir la salle le renvoyant à sa propre réalité. Citons récemment les mises en scène de La Double Inconstance de Marivaux (2014) qui prend pour cadre le foyer des artistes du théâtre, Le Système Ribadier de Feydeau (2013) pour lequel le décorateur reproduit l’entrée du Théâtre du Vieux-Colombier ou encore La Règle du jeu, d’après Renoir (2017) et Faust d’après Goethe (2018), qui convoquent toute la Troupe dans des projections filmées.
Pour Fanny et Alexandre, Julie Deliquet propose de mettre en scène une troupe dans son théâtre, renouant ainsi avec des traditions chères à la Comédie-Française.
Agathe Sanjuan, conservatrice-archiviste de la Comédie-Française, décembre 2018
La Comédie-Française lance la troisième édition du Salon des métiers du spectacle vivant en visioconférence ! La Comédie-Française est une véritable ruche de près de 80 métiers exercés par 450 personnes qui fabriquent chaque élément des 25 spectacles qu’elle présente chaque saison. Venez les découvrir !
POUR LA SAISON 24-25
En raison du renforcement des mesures de sécurité dans le cadre du plan Vigipirate « Urgence attentat », nous vous demandons de vous présenter 30 minutes avant le début de la représentation afin de faciliter le contrôle.
Nous vous rappelons également qu’un seul sac (de type sac à main, petit sac à dos) par personne est admis dans l’enceinte des trois théâtres de la Comédie-Française. Tout spectateur se présentant muni d’autres sacs (sac de courses, bagage) ou objets encombrants, se verra interdire l’entrée des bâtiments.