Metteur en scène et auteur des « Ondes Magnétiques ». Spectacle, du 23 mai au 1er juillet 2018, au Théâtre du Vieux-Colombier.
À l’origine je voulais écrire quelque chose sur le début des années 1980 en France. J’avais une somme d’impressions confuses et de souvenirs agréables, ceux de l’enfance. Je voyais les adultes se réjouir du changement qui advenait, moi aussi j’épousais la liesse autour de moi, sans trop rien y comprendre, mais avec ferveur. François Mitterrand était élu président de la République, le gouvernement décrétait en quelques mois une série de mesures politiques et sociales indéniablement de gauche : nationalisations, hausses des salaires, relèvement des minima sociaux, augmentation du nombre de fonctionnaires, instauration d’une 5e semaine de congés payés, réduction de la durée hebdomadaire du travail, abolition de la peine de mort, régularisation des étrangers et suspension des expulsions, doublement du budget de la culture, suppression de la législation contre les homosexuels, ou encore légalisation des radios locales privées, jusqu’ici dénommées « radios libres ».
Je me souviens en outre d’avoir essayé d’acheter une basse électrique en téléphonant à Mouvance, une radio anarchiste à laquelle participaient certains de mes aînés du collège. Je ne savais pas vraiment à quoi servait une basse ni comment on en jouait, mais j’avais été recruté par un groupe de rock à la moyenne d’âge de 12 ans auquel il manquait un bassiste.
Tout ça pour dire que l’histoire des radios dans ces années-là est un assez bon moyen d’observer l’époque. Des stations nouvelles fleurissaient chaque jour sur les ondes, par dizaines, pour se faire la voix d’absolument tout : une passion musicale, une communauté, une orientation politique, une conviction antinucléaire, une solidarité féministe, un besoin de parler, la simple envie de faire quelque chose, un goût certain pour les nuits blanches.
Certains se souviennent qu’un type avait acheté un émetteur et comptait, sans s’arrêter, de l’aube au crépuscule... C’était donc un mélange très poétique de tout et de n’importe quoi, un désordre enthousiasmant, une libération illimitée, comme la conquête d’une terre vierge, accessible à tous.
Donc j’ai imaginé raconter la période à travers une des aventures qui en fut l’emblème, celle des radios. Comment l’histoire de la France de cette époque, et celle du destin des radios libres se superposent, se confondent, s’éclairent mutuellement.
L’idée n’était pas de reconstituer à l’identique l’une de ces antennes, mais d’en créer une à travers ce que l’on sait d’elles, en mélangeant, et aussi en imaginant, et même en fantasmant. Et très vite l’idée est venue d’en créer deux, très différentes : l’une issue des combats libertaires et des organisations collectives héritées de mai 68, l’autre mettant en œuvre une autre forme de modernité, une esthétique nouvelle mêlant l’art, la distance et le documentaire, supprimant de la radio toute notion « d’animation », mais fonctionnant sur le principe professionnel de l’entreprise. Et comme ce fut le cas pour pouvoir survivre, les deux radios finissent par se marier, et de cette union naissent un ensemble de conflits humains, politiques, économiques, existentiels, qui sont ceux de ce temps-là, et qu’on n’a aucun mal à comparer aux questions d’aujourd’hui.
Car au terme de la récréation, il y eut au bout de trois ans à peine « le tournant de la rigueur », conversion résolue à l’économie de marché, rupture brutale avec les premières mesures politiques prises par la gauche au pouvoir. Pour les radios, se posait alors la question de la publicité : moyen d’autonomie mais aussi risque de faire entrer l’argent dans la place et de mettre les plus petits à la merci des plus gros. Dans cette histoire, on voit l’avant- garde jeune et fauchée faire le travail pour les marchands, parabole capitaliste idéale à observer à travers la loupe du théâtre.
Il y a toujours, dans les périodes qui suivent les changements politiques, un laps de temps où le pouvoir, qui n’a pas le temps de s’occuper de tout, laisse proliférer l’art, l’expression, la liberté, avant de les reprendre en main et de les réguler. C’est l’esprit de ce laps de temps que j’aimerais capter et recréer.
Donc il y aura deux radios, naissant, grandissant, évoluant, fusionnant sous nos yeux, dans un espace bi- frontal, pour que les spectateurs auditeurs soient partout autour de nous, et pas face à nous, car la radio n’est pas un objet auquel on fait face.
Et surtout, il y a les acteurs : Elsa Lepoivre, Sylvia Bergé, Jennifer Decker, Claire de La Rüe du Can, Christian Hecq, Alexandre Pavloff, Nazim Boudjenah, Yoann Gasiorowski. Ils sont huit mais au moins seize, et même un peu plus. J’ai voulu leur confier au moins deux personnages, un dans chaque radio, et à certains davantage, des figures qui passent, une reine de la nuit, un chanteur punk, une pasionaria de la radio d’opposition. Ces personnages, nous les avons fait naître ensemble. J’ai écrit pour eux, avec eux, les imaginant, puis essayant, reprenant, ôtant, ajoutant, refaisant sans cesse. L’écriture est souvent un exercice solitaire. Cette fois je voulais qu’elle se prolonge au contact des autres, qu’elle commence solitaire, silencieuse, et se poursuive au milieu de l’agitation et de la vie qui sont celles des répétitions.
J’aime aussi l’idée de regarder cette France-là et de la raconter à la Comédie-Française, où se dépose l’histoire des formes et des époques.
Les Ondes magnétiques sera donc une histoire composite, faite de combats enflammés, de d’inventions lumineuses, de délires régressifs. J’aimerais que ce soit un manifeste esthétique, où l’art et la vie se mêlent indissociablement. On y verra se succéder un débat politique, une transe musicale, un témoignage existentiel, une improvisation littéraire, des messages d’amour, des petites annonces, des reportages vrais et faux, des empoignades où l’on joue sa vie et des fêtes épiques où cette même vie se consume.
Je rêve d’un objet théâtral et sonore qui soit utopique, impur, politique, social, documentaire, rythmique, agité, mélodique, mélancolique, inquiétant et drôle. Qu’on fasse comme si on y était, et qu’on s’y croie.
David Lescot, avril 2018.
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