Les comédies de Shakespeare à la Comédie-Française
LES COMÉDIES DE SHAKESPEARE entrent tardivement au Répertoire. Les adaptateurs des XVIIIe et du XIXe siècles s’intéressent avant tout aux intrigues tragiques, les modifiant sans scrupules pour les adapter au goût français. George Sand sera la première à adapter une comédie, Comme il vous plaira, en 1856. Puis La Mégère apprivoisée est arrangée par Paul Delair, en 1891, entièrement recomposée autour de quatre personnages.
À partir des années 1920, on joue ces comédies dans des traductions plus fidèles : La Nuit des rois est montée par Jacques Copeau, en 1940, dans la traduction de Théodore Lascaris, Un conte d’hiver, traduit par Claude-André Puget, en 1950, Le Songe d’une nuit d’été, adapté par Pierre Charras, en 1965, Périclès prince de Tyr, texte français de Jean-Louis Curtis, en 1974, Le Marchand de Venise, par Jean-Michel Déprats, en 1987, La Tempête dans la version de Xavier Maurel, en 1998, Les Joyeuses Commères de Windsor dans la traduction de Jean-Michel Déprats, en 2009, Troïlus et Cressida dans la traduction d’André Markowitz, en 2013. Mais nombre de comédies célèbres de Shakespeare restent encore absente du répertoire de la Comédie-Française, à l’instar de La Comédie des erreurs, Peines d’amour perdues, Beaucoup de bruit pour rien, Comme il vous plaira, Mesure pour mesure, Tout est bien qui finit bien.
La Nuit des rois est, en revanche, l’une des comédies de Shakespeare les plus souvent jouées avec trois mises en scène avant celle de Thomas Ostermeier.
Jacques Copeau la fait entrer au Répertoire, le 23 décembre 1940, dans un contexte national et interne à la Comédie-Française très tendu. Paris est occupé par les Allemands, les théâtres ont été fermés, puis rouverts, mais doivent désormais composer avec la nouvelle administration. En avril, l’administrateur général Édouard Bourdet est hospitalisé, à la suite d'un accident de la circulation. Jacques Copeau, metteur en scène d’avant-garde, membre du Cartel, créateur du Théâtre du Vieux-Colombier, est appelé à assurer l’intérim. En décembre, le bruit court qu’il voudrait définitivement évincer Bourdet, ce qu’il dément dans la presse en assurant que Bourdet, lui-même, encourage sa nomination – effective le 30 décembre. La mise en scène de La Nuit des rois se fait donc dans des circonstances très politiques.
Le choix de la pièce n’est pas anodin pour Jacques Copeau : au moment où il cherche à s’imposer, il reprend l’une de ses pièces fétiches. C’est elle, en effet, qui l’a fait connaître en 1914 alors qu’il fonde le Théâtre du Vieux-Colombier. Son style tranche radicalement avec les mises en scène de l’époque, encore marquées par la comédie bourgeoise et naturaliste. L’épure est le mot d’ordre de cette nouvelle vision de la scène et de ce spectacle repris après la guerre. Mais en 1940, la nouvelle mise en scène à la Comédie-Française est beaucoup plus fastueuse et féérique que le tréteau nu du Vieux-Colombier (décor de Suzanne Reymond, qui reproduit la galerie d’un théâtre élisabéthain, costumes de Marie-Hélène Dasté). Les critiques soulignent également la « bouffonnerie » qui prévaut, changeant la Comédie-Française en un « Guignol frénétique », « une fête des yeux et des oreilles », parfois un peu excessive (Georges Pioch, L’Œuvre, 28 décembre 1940). Cette fois, le charme n’opère pas et la plupart des critiques sont nostalgiques des représentations du Vieux-Colombier.
La deuxième Nuit des rois présentée au Français est tout aussi mémorable que celle de Jacques Copeau. Pendant les années 1960, la Comédie-Française s’était interrogée sur l’opportunité de faire appel à un metteur en scène anglais pour monter « le grand Will » : Laurence Olivier, Peter Brook, Orson Welles avaient été évoqués. Pierre Dux porte son choix sur un jeune metteur en scène prometteur. En 1976, Terry Hands, codirecteur de la Royal Shakespeare Company, animateur du festival de Stratford et metteur en scène au Français de Richard III et Périclès prince de Tyr, monte La Nuit des rois à l’Odéon avec la troupe du Français (texte de Jean-Louis Curtis). Il conçoit la pièce comme une réaction en chaîne inévitable, une horlogerie du destin qu’on ne peut arrêter. Selon Hands et comme l’établit également Thomas Ostermeier – metteur en scène de la quatrième Nuit des rois au Français –, la question des genres taraude Shakespeare et remet totalement en cause la concordance habituellement admise entre l’orientation sexuelle et le désir. L’amour physique se joue d’individu à individu, davantage que sur le plan psychique : « Dans cette affaire, l’ambiguïté ne se place pas au niveau de la morale. L’essentiel est de montrer que chaque caractère est homothétique aux autres : ainsi le suggère Shakespeare en faisant intervenir des jumeaux, en multipliant les déguisements. Tous identifient l’amour à la réalisation d’un projet strictement matériel et physique. La seule vraie passion qui surgisse dans cette pièce volontairement privée de lyrisme est celle d’Orsino pour son page, car le travesti lui cache la femme pour le laisser en face d’un être humain. Shakespeare en bref se livre à une virulente satire des théories phallocrates et MLF. » (Cité par Claude Baignières), Le Figaro, 26 février 1976. Pour cela, Terry Hands équipe la scène d’un simple praticable pour laisser le champ aux acteurs en costumes, renouant en cela avec l’épure adoptée par Jacques Copeau au Théâtre du Vieux-Colombier.
La troisième Nuit est celle d’Andrzej Seweryn, en 2003 (traduction de Jean-Michel Déprats). Le sociétaire et metteur en scène polonais considère que Shakespeare, en son pays, est vu comme le plus polonais des auteurs étrangers. Il conçoit sa mise en scène comme le triomphe de l’ambiguïté : « Ce trouble du désir, sujet central de la pièce, me semble très actuel. Dans notre civilisation de l’image, on ne croit que ce que l’on voit. Mais qui sommes nous au-delà de l’image ? » (Cité par Marion Thébaud, Le Figaro, 11 septembre 2003). Le décor de Rudy Sabounghi, étagé à l’aide d’une passerelle qui fait la longueur du plateau, permet de suivre parallèlement les aventures du Duc et d’Olivia, dans un montage qui s’approche des procédés cinématographiques.
En raison des mesures de sécurité renforcées dans le cadre du plan Vigipirate « Urgence attentat », nous vous demandons de vous présenter 30 minutes avant le début de la représentation afin de faciliter le contrôle.
Nous vous rappelons également qu’un seul sac (de type sac à main, petit sac à dos) par personne est admis dans l’enceinte des trois théâtres de la Comédie-Française. Tout spectateur se présentant muni d’autres sacs (sac de courses, bagage) ou objets encombrants, se verra interdire l’entrée des bâtiments.