L'Intruse et Les Aveugles

Triptyques et suites

Maurice Maeterlinck (1862-1949) est déjà fort célèbre lorsqu’il entre au répertoire de la Comédie-Française. Prix Nobel de littérature en 1911, il est l’auteur de Pélléas et Mélisande, véritable manifeste du symbolisme que mirent en musique Debussy, Fauré, Schönberg ou Sibélius.
L'auteur belge fait son entrée au Français à la fin de la Grande Guerre, avec Intérieur (1919) dans une mise en scène de Maurice de Féraudy. Il y est par la suite assez peu joué : Monna Vanna (1923), avec des décors de Guirand de Scaevola, L’Oiseau bleu (1932) et quelques reprises d’Intérieur avant celle de 2017 au Studio-Théâtre par Nâzim Boudjenah.
Le metteur en scène Tommy Milliot, qui avait monté Massacre de Lluïsa Cunillé avec la Troupe en2020, choisit cette saison de présenter, en diptyque, L’Intruse et Les Aveugles. Ces courtes pièces composent, avec Les Sept Princesses, ce que Maeterlinck lui-même appelait sa Petite trilogie de la Mort.

Les trilogies ne sont pas si nombreuses dans l’histoire de la Comédie-Française.
Au XVIIe siècle, l’idée existait déjà de jouer plusieurs pièces qui s’inscrivent dans une continuité. Ainsi, Corneille fait jouer La Suite du Menteur, un an après le succès du Menteur en 1644 (lequel sera présenté en Théâtre à la table en avril 2025 par Suliane Brahim). Molière, pour répondre lui-même aux griefs de ses adversaires sur L’École des femmes (1662), écrit deux pièces l’année suivante : La Critique de l’École des femmes, où il leur répond avec vigueur, et L’Impromptu de Versailles, où il les ridiculise.

Au siècle suivant, on joue et on rejoue Molière. On le critique : Jean-Jacques Rousseau s’en prend à ses comédies dans sa Lettre à D’Alembert sur les spectacles. Il les qualifie d’« école de mauvaises mœurs ». Mais on s’y réfère toujours. Le dramaturge Fabre d’Églantine donne ainsi au Misanthrope une suite qui connaît quelque succès : Le Philinte de Molière ou La Suite du Misanthrope. Reprenant les accusations de Rousseau, il donne à Philinte, l’ami d’Alceste, un rôle des plus déplaisants. Il est surtout resté dans l’histoire comme l’auteur du calendrier révolutionnaire : c’est à lui qu’on doit « floréal »,« fructidor », et autres « vendémiaire » …

En cette même année 1791, une autre pièce reçue au Théâtre-Français affiche à son tour sa continuité avec l’une des plus célèbres de Molière : L’Autre Tartuffe, ou la Mère coupable. Elle est signée de Beaumarchais. Cette pièce est doublement emblématique puisqu’elle est aussi le troisième volet de la trilogie de Figaro.

Beaumarchais avait conquis la gloire avec Le Barbier de Séville, créé en 1775 à la Comédie-Française. Préville, en valet astucieux et insolent, y campe un Figaro inoubliable. Pour en faire jouer la suite, il faut attendre près de dix ans –la faute à la censure. La création de La Folle Journée ou le Mariage de Figaro (1784), est aussi l’une des plus folles journées de la Comédie-Française. Et peut-être de l’histoire de France. C’est un triomphe ; un vent de révolution souffle sur Paris avant l’heure. On prête à Louis XVI ce mot prémonitoire : « Il faudrait détruire la Bastille pour que la représentation de cette pièce ne fût pas une inconséquence dangereuse ; cet homme se joue de tout ce qu’il faut respecter dans un gouvernement. »

Quant à La Mère coupable, elle est jouée avec un certain succès, mais bien moindre que celui des deux premières parties de la trilogie. Les soubresauts révolutionnaires y sont sans doute pour quelque chose. C’est l’été 1792 : les armées étrangères pénètrent en France, Paris est en ébullition, la monarchie est abolie. Il faut dire aussi que vingt ans après, les héros qui ont enflammé les deux premiers épisodes semblent vieillis et fatigués. Quant au charmant page Chérubin, il y passe pour mort depuis longtemps…

La pièce est si oubliée que lorsque l’auteur germanophone Odon von Horvath désire donner une suite à Figaro, intitulée Figaro divorce (1935), il la situe après Le Mariage de Figaro, et non pas après La Mère coupable. Cette pièce, entrée au Répertoire en 2008, dans une mise en scène de Jacques Lassalle, est donnée en alternance avec la reprise du Mariage de Figaro par Christophe Rauck.

En dépit de l’opéra La Mère coupable de Darius Milhaud, créé en 1966 à Genève, il faut attendre les commémorations du bicentenaire de la Révolution pour que la trilogie complète soit rejouée (en incluant donc La Mère coupable), dans une mise en scène de Jean-Pierre Vincent. Cela n’empêche pas Beaumarchais de figurer parmi les dramaturges les plus joués de la Comédie-Française.

Quelques années auparavant (1978-1979), Giorgio Strehler avait réalisé une mise en scène devenue historique de la Trilogie de la villégiature de Goldoni. Cette « comédie en trois parties » fut rejouée en 2012 dans une mise en scène d’Alain Françon. Autre Triptyque, cette fois plus proche de celui de Maeterlinck, les « trois tableaux scéniques » de Max Frisch montés par Roger Blin en 1983 :« Voilà, déclare alors l’auteur, nous vivons avec les morts et les morts ne changent plus. Nous voulons leur être fidèles et nous devons nous en séparer. »
Et lorsque Lina Prosa crée son Triptyque du naufrage au Théâtre du Vieux-Colombier en 2014, n’est-ce pas une autre « trilogie de la mort » qu’elle donne à voir, avec cette évocation des migrants de Méditerranée composée de trois seuls-en-scène : Lampedusa Beach, Lampedusa Snow, Lampedusa Way.

Louis-Gilles Pairault
Conservateur-archiviste de la bibliothèque-musée de la Comédie-Française

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