Les formes théâtrales « tout public » à la Comédie-Française
À l’aube de l’école républicaine, la création d’abonnements (1873) et de matinées classiques (1878) sous le mandat d’Émile Perrin (Administrateur de 1871 à 1885) contribue à l’enrichissement de la culture classique des enfants de la bourgeoisie qui découvrent ainsi les chefs-d’œuvre du théâtre dans des conditions exceptionnelles. Le jour de ces matinées glisse du jeudi au mercredi, au gré des rythmes scolaires et le concept de « classique » perdure jusqu’à la charnière des XXe et XXIe siècles.
Prenant acte de l’évolution des pratiques et des attentes du public, Marcel Bozonnet (Administrateur de 2001 à 2006) supprime les mercredis après-midi, essentiellement consacrés aux scolaires avec des pièces exclusivement classiques. Désormais, les jeunes spectateurs et spectatrices se mêlent au public lors de représentations de l’abonnement « création » proposé certains samedis. L’évolution des propositions faites au jeune public s’accélère à partir de 2003 avec une programmation et des initiatives spécifiques, à l’intention des élèves et étudiants qui représentent aujourd’hui une part non négligeable du public de la Comédie-Française (plus de20% a moins de 28 ans) avant les récompenses. En 2020 puis en 2023, le Molière du meilleur spectacle jeune public est attribué à la Comédie-Française pour La Petite Sirène puis pour La Reine des neiges, l’histoire oubliée !
C’est avec le théâtre contemporain de Fabrice Melquiot que l’histoire a donc commencé en 2003, au Studio-Théâtre. Son conte poétique et quotidien Bouli Miro réunit adultes et enfants, avant qu’il n’écrive une suite pour la Comédie-Française, Bouli redéboule (2005), pièce « accessible aux enfants ». Si le texte de théâtre aime les enfants, selon Melquiot, c’est parce que ceux-ci « aiment très vite jouer avec la vie, la mémoire et l’invention ». La musique aussi les initie avec amusement à la poésie de Jacques Roubaud dont le divertissement « tout public », Ophélie et autres animaux présenté dans la même salle en 2006, est accessible dès l’âge de six ans.
Toutefois, le genre théâtral est bientôt éclipsé par le conte, terreau fertile pour l’inventivité scénique. Telle une partition musicale, la narration intégrale de trois Contes du chat perché de Marcel Aymé (Le Loup en 2009 ; Le Cerf et le Chien en 2016 ; Le Chien en 2023) est répartie par les metteuses en scène Véronique Vella et Raphaëlle Saudinos entre les comédiennes et comédiens et ressort transfigurée de cette nouvelle théâtralité. Seules quelques« didascalies » peuvent être supprimées du Petit Prince en 2011, selon son metteur en scène Aurélien Recoing, qui assimile ce conte de Saint-Exupéry, dès sa première lecture, à une pièce de théâtre. Si des éléments essentiels, tels que le deuil et la mort dans Les Trois Petits Cochons (2012), sont conservés, le plus souvent, le texte est étoffé (Les Habits neufs de l’empereur en 2010, La Princesse au petit pois en 2013, La Petite Fille aux allumettes en 2014) voire adapté à l’époque en abordant des problématiques actuelles, telles que la pollution des océans (La Petite Sirène en 2018). Le recours aux versions originelles renouvelle également nos lectures du conte. Ainsi, le sous-titre « l’histoire oubliée »évacue la référence à l’adaptation de La Reine des neiges par les studios Disney qui, dans une version édulcorée, détourna ce conte initiatique, initialement sur l’amitié, vers la relation entre sœurs. Le recours à la première version d’Hansel et Gretel efface aussi, en 2021, la sempiternelle figure de la marâtre. L’incompréhensible abandonneuse d’enfants – devenus des jumeaux dans cette version scénique bercée par des chants créoles – n’est autre que la mère. Aux contes s’est adjoint le roman avec des œuvres sur l’exploration et l’itinérance particulièrement délicates à mettre en scène : 20 000 lieues sous les mers et, plusieurs fois portée à l’écran, Sans famille.
Le jeune public est souvent réceptif à un spectacle davantage par le biais sensoriel que verbal et les metteuses et metteurs en scène contemporains proposent surtout un renouvellement des formes, parfois radicalement éloignées de l’imagerie enfantine (Les Habits neufs de l’empereur). Rien ne sert d’illustrer le texte, il faut le suggérer. À l’accessoire suggestif faisant animal le comédien qui l’incarne (Le Loup, Le Cerf et le Chien, Le Chien, Les Trois Petits Cochons), font écho l’abstraction des décors (l’univers des mathématiques dans Ophélie et autres animaux) et les procédés de transformation de l’espace (La Princesse au petit pois), qui ne sont pas sans rappeler les récits imaginés et contés par les enfants eux-mêmes lorsqu’ils détournent les objets.
Illusion visuelle par excellence, la magie mise en scène avec de vrais tours (Le Petit Prince) opère aussi grâce aux scénographies innovantes (représentation de la magie des mondes marins, récompensée par un Molière de la Création visuelle 2015 pour 20 000 lieues sous les mers) et à l’usage de la vidéo, puissant vecteur émotionnel.
Les contes se suivent et ne se ressemblent pas. Pinocchio, célébrissime personnage depuis sa création par Collodi en 1881 jusqu’à sa starisation par les studios Disney en 1940, rejoint, à la Comédie-Française, la troupe des figures mythiques, berceuses de notre enfance, que le public va redécouvrir sous le prisme du regard de Gepetto.
Florence Thomas
Archiviste-documentaliste à la Comédie-Française
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