d’après « Le Tartuffe ou l’Hypocrite » de Molière
Adaptation et mise en scène : Emilie Lacoste
Et Tartuffe ?
2022-07-08 20:30:00 2022-07-10 17:00:00
La pièce débute par un constat sans appel, un cri désespéré, un sanglot immense. Mme Pernelle, matriarche déchue, voit s’effondrer sous ses yeux le monde qu’elle a toujours connu, sa famille éclatée, sa maison dévastée. Le vieux monde féodal et guerrier est en crise, le nouveau, celui de la naissance de l’individu et de la liberté de conscience n’est pas encore établi. Nous sommes projetés immédiatement au cœur de la débâcle, entre-deux-histoires, entre-deux-âges.
« Les jeunes, Cléante, Damis et Elmire, ont tous transgressé les limites. La maison du patriarche Orgon est devenue « la Tour de Babylone ». Il n’est question que de fêtes, de séductions et de plaisirs. La mort de Sardanapale règne partout. Et Tartuffe ? débute dans cette aurore. Le jour se lève à peine, après une nuit qui a contenu tous les excès, toutes les profanations. Cette débâcle ne peut plus durer alors la parole arrive et Mme Pernelle exige que quelque chose se joue, se révèle, se transforme. Après cette première déflagration plus rien ne peut être caché, tout doit se dire. Le personnage de Tartuffe entre. C’est lui qui, parce qu’il n’est pas des leurs, parce qu’il est ambigu, parce qu’il vient d’un ailleurs, provoque le trouble qui va être le terreau, en chacun, d’une crise métaphysique visant à redéfinir leur rapport au monde. Tartuffe, parce qu’il avoue son amour à Elmire, provoque l’événement renversant, transgresse l’interdit. À partir de là, chacun vit un vertige, traverse un grand déséquilibre. En qui croire ? En quoi croire ? Croire ? Tartuffe lui-même parce qu’il n’est pas un héros tragique mais un humain parmi les humains va vivre cette expérience du doute, ce vacillement de convictions et d’adhésions. Tartuffe, sans le savoir, sans y être destiné devient un héros, celui qui rompt l’attente, celui qui dit la vérité au détriment de tout le reste : j’aime.
Ce dépassement est sans retour et il invite à expérimenter un renversement génial : d’une pratique mortifiante de la religion à une Foi en l’amour, du dogme au mysticisme. Elmire s’empare de cet aveu pour construire le spectacle de cet amour, ce qui se joue est de l’ordre de la révélation. En rendant visible ce qui ne l’était pas c’est Elmire qui se fait héroïne et exige que chacun choisisse selon sa conscience, qui aimer et comment. Tartuffe offre la possibilité de la révélation, de la modification, de la transfiguration. Ce qu’il me reste à dire : et s'il était possible de croire sans être aveugle ? Et s'il était possible d’aimer sans être trompé ? Et si la foi était simplement un contact pris avec la transcendance, un choix de cœur permettant une nouvelle liberté?
J’ai choisi d’adapter la version originale, celle qui a été censurée par Louis XIV à l’époque de Molière et dont on a retrouvé la trace grâce au travail de « génétique théâtrale » entrepris par Georges Forestier. Je fais le choix de parler d’adaptation parce qu’il y a un mystère autour de cette pièce, de son histoire, des formes qu’elle a dû traverser, parce que Le Tartuffe que je propose n’est pas Le Tartuffe ou l’Hypocrite ni Le Tartuffe ou l’Imposteur. Je crois que Tartuffe n’est pas hypocrite par nature, personne ne l’est. Je crois qu’il tombe
en hypocrisie. Il est donc avant tout sincère. Si Tartuffe dit son amour à Elmire il prend le risque de mourir, si Molière écrit Le Tartuffe il prend le risque de la censure, le risque d’être assassiné par un janséniste voulant faire un exemple. C’est essentiel pour moi de bien comprendre le contexte d’écriture parce que c’est grâce à lui que l’on comprend à quel point ce texte est physique, à quel point il s’agit d’une histoire de peau. Je rêve donc de fermer les yeux sur 400 ans d’interprétation et de me laisser aller à l’écoute de ce XVIIe siècle, de ce Jean-Baptiste s’épuisant pour faire jouer son Tartuffe.
Les yeux fermés j’entends qu’il était prêt à mourir pour cette histoire, pour cette figure, j’entends que cette pièce porte une charge révolutionnaire extraordinaire et que c’est cette charge que je veux mettre en scène. Les yeux fermés j’entends qu’il s’agit d’une histoire d’émancipation, d’une libération par la transgression et que ce chemin de vie est toujours aussi révolutionnaire. Trahir pour se rendre libre, c’est encore révolutionnaire, c’est ce que fait Tartuffe. Il trahit les valeurs morales mortifiantes en trahissant l’Église, en trahissant son ami. Et, plus révolutionnaire encore, il les trahit au nom de l’amour.
Dire « d’après Molière », demander « Et Tartuffe ? » c’est une manière pour moi de plonger pleinement dans les espaces de liberté que je prends avec le texte (même si aucun ajout n’est fait, simplement quelques coupes sur la base de cette version en 3 actes) et avec les codes de représentation. La distribution que j’ai choisie ne fait pas cas de la vraisemblance, elle évacue la question de l’âge, tous les comédiens ont entre 20 et 30 ans. Elle propose aussi de se situer au-delà du genre, Tartuffe sera joué par une actrice. Ce choix n’est pas militant, il est lié à des questions de représentation. En ce qui concerne l’âge, le fait de ne travailler qu’avec des gens d’une même génération permet de se décrocher d’une mise en scène trop réaliste qui ferait du Tartuffe un drame social avant tout pour souligner l’aspect expérimental de la pièce. Chaque personnage étant invité à faire face à sa propre liberté, cette question n’a pas d’âge. En ce qui concerne le genre, Tartuffe incarné par une actrice permet d’ouvrir un espace dans les enjeux liés à la représentation. Et surtout, cela ajoute au trouble. Tartuffe est un personnage ambigu, insaisissable, il me semble intéressant de proposer une figure androgyne, de créer une étrangeté. Je considère qu’incarné par une femme, la dimension hors du commun de Tartuffe surgira d’autant plus parce que ce n’est pas l’habitude. »
Emilie Lacoste, note de mise en scène
Adaptation d’après la version interdite en trois actes de 1664, restituée par Georges Forestier avec la complicité d’Isabelle Grellet
Adaptation et mise en scène : Emilie Lacoste
Scénographie : Auriane Robert
Costumes : Yanis Verot
Lumières : Diane Guérin
Son : Louis Rivry
Collaboration artistique : Joséphine Supez
Damis, fils d’Orgon
Orgon, mari d’Elmire
Cléante, beau-frère d’Orgon
Mme Pernelle, mère d'Orgon et Dorine, suivante
Tartuffe
Elmire, femme d’Orgon
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