Loges d’acteurs, musée imaginaire
La Comédie-Française abrite une troupe permanente, une exception en France. Chaque comédien dispose d'une loge à la Salle Richelieu, individuelle pour les sociétaires, parfois partagée pour les pensionnaires. Les loges s'étagent au-dessus de la salle, certaines donnant sur la place Colette, d'autres sur les jardins du Palais-Royal et les colonnes de Buren. Attribuées par la chef habilleuse, suivant un ordre protocolaire et hiérarchique, elles voient se succéder les générations d’artistes. Dans la plupart des théâtres, la loge est un espace fonctionnel avant tout, à la neutralité d'une chambre d'hôtel, où l’on s’installe provisoirement. On y range ses costumes, son maquillage, parfois on y distille son univers fait de quelques souvenirs, de photographies, mais au dernier soir de représentation, on fait ses cartons pour laisser place à un autre. À la Comédie-Française, du fait de la sédentarité de la Troupe, les loges tiennent une place particulière, deviennent des espaces personnels, aménagés, qui reflètent la personnalité de leur occupant du moment.
Un espace privé, au sein de l’espace public
La loge laisse place à « l’intime » à l’intérieur d’un espace public – le théâtre – investi par une troupe de comédiens se donnant en représentation, tant sur scène que, parfois, dans leur vie privée. La loge se situe au carrefour de ces deux versants.
Un espace multifonction
Espace mouvant, la loge est à la fois studio de travail, lieu de repos, vestiaire de costumes, salon où l'on peut accueillir des visiteurs, galerie intime qui, par les objets accumulés, s'apparente à un musée personnel. Elle ménage la coexistence du symbolique et du très particulier en mêlant souvenirs personnels, objets fonctionnels (miroir, maquilleuses, paravents), effigies de figures tutélaires (notamment Molière), mobilier représentatif du temps, portraits de soi, de camarades et d'acteurs admirés.
Agathe Sanjuan, conservatrice-archiviste de la Comédie-Française
Représenter les loges
Pendant longtemps la loge est un espace tabou. Jusqu'au XIXe siècle, on portraiture le comédien en costumes, parfois en jeu, mais rarement dans un espace personnel. Avec la Révolution, les comédiens reçoivent le statut de citoyens qu'ils affichent sur leurs portraits en se faisant représenter en habit civil. La loge, lieu qui concilie l'activité artistique, la vie privée et l'exposition d'une personnalité, reste cependant un espace que l'on ne dévoile pas, d'autant que les écrivains en font alors dans leurs romans un lieu de fantasme, antichambre de l'ambition, de la célébrité et de la fréquentation des grands – chez Dumas notamment – ou des femmes légères – chez Balzac ou Zola. Pourtant, les vestiges de la loge de Louise Contat, visibles à travers les dessins de Charles de Wailly (1787) conservés aux Arts décoratifs montrent combien la décoration des loges pouvait être intéressante et recherchée.
À l'exception du portrait de Ligier dans sa loge, peint par Édouard Pingret en 1834, les premières représentations des Comédiens-Français dans leurs loges datent de la fin du XIXe siècle, avec une série de photographies. Si certains espaces sont caractérisés – la loge de Mounet-Sully – d'autres décors semblent avoir servi pour plusieurs personnalités. Ce qui prime est bien la représentation du comédien dans un espace secret, interdit au grand public, dans son intimité, fut-elle plus ou moins authentique. Un peu plus tard, des cartes postales sont commercialisées représentant les plus grands comédiens dans leurs loges, dont certaines, là encore, semblent des reconstitutions factices. Ce n'est qu'à partir des années 1950 que des campagnes de photographies fixent les loges en elles-mêmes, pour leurs décors. Au même moment, le peintre Pierre Roussel les saisit dans de nombreuses études préparatoires pour des tableaux qu'il conçoit comme des instantanés d'un espace sensible. Enfin, la dernière campagne de Stéphane Lavoué, photographe de la Troupe, donne à voir chaque loge comme le reflet de la personnalité de son occupant.
Agathe Sanjuan, conservatrice-archiviste de la Comédie-Française
Architecture des loges
Quelle que soit l’époque et les théâtres occupés par la Troupe, le bâtiment de la Comédie-Française a toujours été un véritable gruyère – le sous-sol de la Salle Richelieu porte d’ailleurs actuellement ce nom. Au gré des besoins et des nouveaux usages, on a ajouté des pièces, reconfiguré les lieux, que ce soit dans la salle – notamment avec l’ajout de nombreuses loges de spectateurs au XVIIIe siècle qui disparaissent à partir du milieu du XIXe siècle au profit d’espaces plus ouverts – ou dans les coulisses, les comédiens n’ayant de cesse de bouger les cloisons, de les abattre ou de les reconstruire. Aussi est-il difficile aujourd’hui de tracer la généalogie de loges qui, par ailleurs, ne cessent de changer d’occupants. Certaines légendes courent cependant les couloirs, notamment concernant la tristement célèbre loge de Jane Henriot, où elle décéda par asphyxie au cours de l’incendie de 1900, et que certains comédiens refuseront ensuite d’investir.
Attribution des loges
Les photographies de Stéphane Lavoué fixent un état des loges, à un moment donné de l’histoire de la Troupe. Aujourd’hui comme autrefois, chaque départ de comédien de la Troupe entraîne des changements de loges en cascades.
Ces transferts sont soigneusement énumérés – pour éviter toute contestation – dans les premiers registres d’assemblées de la Troupe. À la fin du XVIIe siècle, il n’est point de règle stricte et on tire parfois au sort pour savoir à qui échoira une loge vacante.
Le principe de l’ancienneté s’impose peu à peu au cours du XVIIIe siècle pour acquérir force de loi à la fin du XIXe siècle. Jules Claretie, administrateur nouvellement nommé depuis peu s’enquiert en 1887 de cette « tradition » : « Le Comité répond qu’en principe le droit d’ancienneté est absolu, mais qu’en fait on a presque toujours cédé aux réclamations des dames artistes, dont les costumes ont besoin de plus d’espace que ceux des hommes. » Le critère de l’encombrement des garde-robes et du matériel de scène est en effet un sujet récurrent qui contrecarre le principe de l’ancienneté.
Aujourd’hui, le choix des loges, décidé par la cheffe habilleuse ou le chef habilleur, ne se fait plus forcément sur le critère de la proximité du plateau. La taille de la loge, le nombre de fenêtres, la vue, l’isolation au bruit extérieur, peuvent entrer en ligne de compte, ainsi que les affinités au sein de la Troupe. Désormais, un placard extérieur et attenant à la loge permet de stocker le costume du soir tandis que les autres sont en « entretien » à l’habillement.
Agathe Sanjuan, conservatrice-archiviste de la Comédie-Française
Les Loges du Français / Stéphane Lavoué. Paris : éd. Gallimard, 2019
Informations pratiques
Exposition réalisée par la bibliothèque-musée de la Comédie-Française.
Location : 700 €HT/mois (envoi des 82 fichiers numériques .jpg)
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- melanie.petetin@comedie-francaise.org
Copyright à indiquer sous les reproductions : ©Coll. Comédie-Française
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pour les représentations de mars à juillet 2025
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MER 22 JANV à partir de 11h
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