Entretien avec Marina Hands

Dans la salle du Théâtre du Vieux-Colombier, repensée comme un théâtre à l’abandon, l’équipe de « Six personnages en quête d’auteur » attend avec impatience d’accueillir le public aux représentations de cette pièce culte, qui met en scène une équipe en train de répéter… Marina Hands évoque les grandes lignes de son projet et combien est riche le théâtre lorsqu’il se joue de la fiction et du réel entremêlés.


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  • Chantal Hurault. Pour votre première mise en scène en solo, vous choisissez Six personnages en quête d’auteur de Luigi Pirandello, dans une nouvelle traduction de Fabrice Melquiot. Qu’est-ce qui vous touche particulièrement dans cette pièce qui fit scandale à sa création ?

Marina Hands. Cette pièce parle de mon métier, et je dirais en ce sens que c’est un spectacle d’exploratrice. Elle ouvre une multitude de thèmes à partir d’un théâtre en crise financière et existentielle, d’hier ou d’aujourd’hui, qui interroge une industrialisation du spectacle imposant aux artistes un maximum d’efficacité avec un minimum de temps et de moyens, jusqu’à parfois leur faire perdre le sens de leur fonction au sein de la société. Et en même temps, elle sublime leur désir intarissable de faire surgir la beauté, la poésie.
Nous ne connaissons pas précisément l’ampleur du scandale qu’a été sa création, mais il est certain qu’elle a provoqué l’incompréhension par son absence d’éléments de séduction propres aux codes de l’époque. Il n’y a pas de décor, sinon la salle de théâtre dans laquelle elle se joue, pas d’actes ni d’action à proprement parler, si ce n’est une journée de répétition où le metteur en scène, les acteurs et actrices jouent leur propre rôle. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’elle échappe à toute forme de définition : ce n’est pas tant une pièce qu’un prologue, un débat, une confrontation. De même que dans Ce soir, on improvise, Pirandello n’épargne personne, surtout pas les narcissiques et les faiseurs. Son regard est impitoyable, d’un humour féroce mais aussi d’une immense tendresse pour ses personnages, des êtres fragiles à la dérive qu’il magnifie en les mettant ainsi en lumière.
La présenter dans une nouvelle traduction était important pour l’entendre dans une langue qui puisse témoigner de notre époque. J’ai été particulièrement heureuse que Fabrice Melquiot accepte cette collaboration, parce qu’il est très proche de l’œuvre de Pirandello et parce que son écriture est celle d’un véritable homme de théâtre.

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  • Chantal Hurault. De quelle nature sont, selon vous, ces six personnages qui font effraction dans le réel ?

Marina Hands. Ces individus, fictionnels ou fantomatiques, viennent réveiller les vivants en tapant à leur porte : « Regardez l’humanité, regardez le drame. » Et c’est une pure tragédie contemporaine qu’ils portent en eux, celle d’une famille dysfonctionnelle frappée au cœur, dont les souffrances sont brûlantes de vérité, et de réalité. Que ce soient des créatures imaginaires, des petits farceurs ou des personnes lambdas demandant que l’on parle d’elles, peu m’importe : leur drame est à un tel degré de gravité que nous nous devons de le prendre en charge nous aussi avec le plus grand sérieux, la plus grande énergie et le sens du combat.
Il y a quelque chose d’implacable chez ces êtres qui crient leur besoin, vital, d’être représentés en ne supportant pas la façon dont cela est fait. Je dois avouer que c’est un de mes pires cauchemars en tant qu’actrice, quelqu’un venant me reprocher de mal m’emparer de son histoire ! Quelle légitimité avons-nous à incarner ainsi des drames que nous nous n’avons pas vécus ?

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  • Chantal Hurault. Le dispositif scénographique embrasse entièrement le sujet de la pièce, biffant tout cadre de scène pour privilégier une immersion dans une salle de répétition. Quels principes ont présidé à sa conception ?

Marina Hands. J’accorde beaucoup d’importance à l’histoire des lieux dans lesquels je me trouve. Pour cette pièce qui se déroule dans une salle où répète une troupe désœuvrée, j’ai évidemment été portée par celle du Théâtre du Vieux-Colombier que Jacques Copeau a fait renaître en 1913. Ce sera donc à la fois une maison hantée par les fantômes du Vieux-Colombier et un espace qui raconte un théâtre d’aujourd’hui, à l’abandon. J’ai opté pour l’esthétique du théâtre pauvre, de Jacques Copeau ou de Peter Brook, auquel je crois beaucoup. Eux qui prônaient le dépouillement pour en finir avec le faux, cherchaient une essentialité de l’acte théâtral.
Six personnages en quête d’auteur est un hymne à la création, au surgissement possible, avec presque rien, de l’émerveillement ou de l’effroi. C’est un moment hors du temps où l’on interroge l’âme humaine. Et ce que Pirandello nous propose ici est vertigineux, interroger comment représenter au mieux le drame humain pour qu’il soit le plus impactant : c’est ce que cherchent dans la pièce le metteur en scène avec son équipe et les personnages, c’est ce qu’il nous revient à nous d’expérimenter. Pour cela, nous allons passer d’une atmosphère et d’une esthétique à une autre, en donnant au public la possibilité de s’interroger lui-même sur ce qui « fait » théâtre pour lui – le dépouillement, la poésie ou le réalisme, à travers le débat, le texte ou la lumière...
Là est l’injonction de ces six personnages qui surgissent en pleine répétition, comme dans une des nouvelles de Pirandello où ils viennent menacer l’auteur dans son bureau pour qu’il n’abandonne pas son travail. Cette projection schizophrénique où l’imaginaire vient tambouriner à la porte du réel, Pirandello la vivait intimement. Son théâtre dans le théâtre ne parle que de cela, une communauté d’esprits débattant de la souveraineté de la fiction.

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Responsable de la communication et des publications du Théâtre du Vieux-Colombier

Photos de répétitions © Christophe Raynaud de Lage

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